Décembre 2010 /199
Décembre 2010 /199
TypeArt

Concours cinéma

Vénus noire

Un film d’Abdelatif Kechiche, France, 2010, 2h39.
Avec Yahima Torres, Andre Jacobs, Olivier Gourmet.
A voir au cinéma Churchill.



Sélectionné au festival de Venise, le dernier film d’Abdelatif Kechiche dresse le portrait percutant de Saartje Baartman (Cap 1789 – Paris 1815), la célèbre Vénus hottentote au physique atypique : les hanches et les fesses hypertrophiées, les organes génitaux protubérants. Cette femme fait d’abord l’objet d’une attraction foraine où elle est amenée à jouer le rôle d’une bête sauvage, que l’on peut même approcher et toucher à condition de s’y prendre en présence du dompteur muni de son fouet. Kechiche propose ici, en racontant le parcours de cette jeune femme impassible, de dresser une histoire des regards : cette même histoire qui, à la fin du XIXe siècle, expose littéralement, dans le Jardin d’acclimatation de Paris, quelques “spécimens” des cultures dites “sauvages”.

Kechiche n’omet pas de décrire les bonnes intentions (notamment scientifiques) qui peuvent animer une telle approche des cultures étrangères. Son film tente alors moins de porter un jugement sur ce regard que de le décrire avec une précision presque frénétique, n’hésitant pas à en rajouter et à réitérer les scènes de spectacle, hypertrophiant à son tour l’avidité scopique des spectateurs décrits dans le film. Il choisit de dénoncer un regard précisément en l’adoptant, le radicalisant, le poussant à bout pour le décortiquer, le disséquer, comme toutes ses scènes jusqu’à la limite, jusqu’au moment où on peut dire, à l’instar d’un des personnages du film : « Ça suffit, ce n’est plus drôle. »

Conçu comme une expérience de Milgram, le film (qui est interdit aux moins de 12 ans) questionne directement le spectateur : à quel moment du spectacle va-t-il quitter la salle ? Heureusement, le film ne se contente pas de prendre le spectateur en otage : une solution se dessine, celle de l’artiste, celui qui sculpte les visages. Kechiche, qui confie avoir été touché par la sculpture moulée de Saartje Baartman, choisit à son tour un visage émouvant, celui de Yahima Torres, dont l’impassibilité et le silence n’est pas sans rappeler le personnage de Krimo dans L’Esquive. S’il s’agit d’un film de reconstitution, les questions qu’il pose n’en demeurent pas moins contemporaines d’une approche des cultures qui peut passer par le spectacle en négligeant l’essentiel : le contact et le dialogue.

Abdelhamid Mahfoud

Si vous voulez remporter une des dix places (une par personne) mises en jeu par Le 15e jour du mois et l’asbl Les Grignoux, il vous suffit de téléphoner au 04.366.52.18, le mercredi 15 décembre de 10 à 10h30, et de répondre à la question suivante : en quelle année la dépouille de Saartje Baartman a-t-elle été restituée à l’Afrique du Sud ?

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