A quelques jours de la Toussaint, l’accroche revêt la forme d’une affiche invitant à un “Drink d’Halloween”. Mais cette annonce, proprement placardée par les Etudiants démocrates humanistes (Edh) à quelques mètres du bureau de Bernard Fournier, chargé de cours au département de science politique, n’est pas pour autant un vecteur de prosélytisme. Car aucun de nos interlocuteurs ne se fait d’illusions. « Selon une étude que nous avions menée en 2009 auprès de 1000 jeunes Wallons âgés de 16 à 21 ans, deux tiers ne s’intéressent pas ou peu à la politique. Seuls 3 à 4% d’entre eux s’en préoccupent et font partie d’un mouvement », diagnostique Bernard Fournier. Et de préciser – alors que d’aucuns parlent d’un désintérêt actuel pour la chose politique – que cet état de fait est en réalité quasiment antédiluvien ; même le mouvement de Mai 68 – qui s’inscrivait dans un contexte culturel complexe non reproductible – n’a concerné qu’une minorité de leaders, à peine plus large qu’aujourd’hui.
Voilà pourquoi, avec une vingtaine de membres, Alexandre François, le président des Edh, se montre satisfait, tout en relevant qu’il rassemble une majorité de membres parmi les étudiants en droit ou en science politique, déjà sensibilisés au sujet. « Mais que ce soit festif ou plus sérieux, on part avec un a priori politique qui n’attire pas. Et dans une conjoncture sans gouvernement, cela accentue encore l’impression que la politique ne sert à rien et qu’il s’agit de créer des problèmes plutôt que de les résoudre. » Une impression rencontrant les conclusions de Bernard Fournier qui qualifie ce rejet comme suit : « Le cynisme est devenu l’expression d’une forme de critique par rapport à la société et montre paradoxalement que l’on est politisé. » Les compromissions, les malhonnêtetés, les carences idéologiques ou la vénalité attribuées aux politiciens sont en l’occurrence autant d’arguments fallacieux mais porteurs.
C’est la raison pour laquelle la plupart des jeunes adhèrent prioritairement aux mouvements apolitiques ou para-politiques centrés, par exemple, sur les droits de l’homme, l’altermondialisme ou l’écologie. Ce qui, de toute façon, sensibilise à la démocratie, apprend à faire passer ses idées, à négocier, à convaincre… et donc à se positionner politiquement pour faire passer son message et ses idées. Tout à fait le profil de Sarah Jonet, du Mouvement des jeunes socialistes (MJS, un peu moins structuré que ses homologues sur le campus), qui tient à préciser d’emblée : « J’ai beaucoup d’engagements citoyens, à titre personnel, sur des priorités comme l’égalité des genres ou les sans-papiers. Et au niveau scolaire, je défends des études de qualité accessibles à tous. » Et cette étudiante en science politique fut aussi membre de la Fédé et de la FEF, ce qui avalise l’idée que les étudiants engagés en politique ne sont pas d’une nature pusillanime.
Reste que tous ne sont pas des rejetons du bâtiment B31. C’est justement sur une base idéologique et politique que Mathieu Content, étudiant en 2e master d’histoire, centre son action politique à l’ULg conçue comme un terrain d’expérimentation plus que comme un tremplin à d’éventuelles ambitions personnelles. « Mon objectif est de promouvoir l’écologie politique. Nous sommes pas mal d’historiens au sein d’Ecolo-J à l’ULg et on compte également quelques ingénieurs ou des étudiants des Hautes Ecoles, même s’ils sont plus difficiles à toucher faute de relais. » Au menu : conférences, stands à la sortie des amphis, verres d’accueil ou visite d’expos (dont SOS Planet, évidemment). « Nous sommes officiellement reconnus comme cercle étudiant », rappelle d’ailleurs Stany Mazurkiewicz, responsable de Comac-ULg, une structure proche du PTB qui dénombre pas mal d’étudiants en Philo et Lettres comme lui.
Cependant, d’autres ne s’inscrivent pas forcément dans les activités étudiantes des mouvements de jeunesse politique, mais préfèrent être en lien direct avec celles des partis, fût-ce par l’entremise des sections jeunes. Des étudiants qui ne sont pas en prise directe avec la cause étudiante : « Au lieu de m’investir à la Felu (Fédération des étudiants libéraux universitaires), je préfère le faire directement dans des activités telles que les campagnes électorales, les conférences-débats, les soupers de section ou des soirées comme la “java bleue”, explique Aurélie Baré, étudiante en 2e master psycho. Je n’ai pas forcément envie de rester cloisonnée dans l’univers estudiantin et je trouve intéressant de découvrir déjà le fonctionnement d’un parti. » C’est la fameuse question du “saut en politique”, dont Bernard Fournier souligne la difficulté lorsque l’ex-étudiant se demande comment il va pouvoir faire sa place dans une structure qui le dépasse. Déborah Géradon, ancienne étudiante en… science politique et ex-présidente du MJS, a franchi le pas et résume : « L’avenir politique, comme l’avenir professionnel, appartient prioritairement à ceux qui expriment leurs idées. »
Fabrice Terlonge