Tous les six mois, la présidence du Conseil de l’Union européenne est assurée par un Etat membre différent. Depuis le 1er juillet et jusqu’au 31 décembre, tout est belge en Europe : sa capitale, son président Herman Van Rompuy et le pays assumant la présidence de l’Union. Quel bilan tirer du mandat belge ? Regards croisés du Pr Quentin Michel, en faculté de Droit et de Science politique, et de Joseph Tharakan, chargé de cours à HEC-ULg.
Le 15e jour du mois : La Belgique cédera, à la fin du mois de décembre, la présidence de l’Union à la Hongrie. Peut-on tirer un premier bilan de l’action belge ?
Quentin Michel : C’est encore un peu tôt parce que le dernier conseil de décembre est souvent essentiel. Néanmoins, le fait majeur à relever, à mon sens, est le peu de visibilité de cette présidence. C’est la première présidence tournante de l’Union régie par le nouveau traité de Lisbonne. Manifestement – et conformément aux textes – , la présidence tournante a perdu son aura au profit du président, Herman Van Rompuy, et de Catherine Ashton, haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Celle-ci a clairement ravi la vedette au ministre des affaires étrangères Steven Vanackere. Quand a-t-on évoqué la Belgique ? Lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies n’a pu accepter que l’Europe s’exprime d’une seule voix et que la présidence tournante n’a pu laissé sa place et a dû prendre la parole au nom des 27.
Je n’ai pas de regret à cet égard mais je constate que, pour les petits pays notamment, la présidence tournante ne sera plus un moment privilégié sur la scène médiatique. Surtout lorsque le gouvernement est en “affaires courantes”…
Le 15e jour : Y a-t-il eu des avancées notables sur certains dossiers ?
Q.M. : Quelques-unes. Je retiendrai notamment l’accord de libre-échange entre l’Union et la Corée du Sud. D’autre part, les débats sur l’élargissement de l’Union ont indéniablement progressé. La question serbe est presque résolue, l’adhésion de l’Islande est sur les rails. Même le dossier turc a évolué. Rien n’est décidé encore, mais des progrès ont été engrangés sous la présidence belge.
Par contre, on peut regretter que la mise en place du brevet européen soit toujours dans l’impasse. L’Espagne, en effet, revendique que ce brevet puisse être rédigé en espagnol alors que, pour l’instant, trois langues seulement sont retenues : l’allemand, l’anglais et le français. Si les Polonais ont marqué leur solidarité avec les Espagnols, la Communauté flamande, semble-t-il, n’a pas soutenu cette revendication.
Plus grave peut-être : le budget n’a pas été voté. Même si un consensus semblait poindre en ce qui concerne l’augmentation du budget européen, le Royaume-Uni a opposé un veto très ferme à l’éventuelle levée d’un impôt européen. Les efforts de la présidence belge ont été nourris, mais ils n’ont manifestement pas (encore ?) aboutis.
Il est évidemment très difficile de savoir ce qui est imputable à la présidence belge. D’autant que, c’est l’éternel problème, on ne sait pas vraiment qui agit au nom de quoi. Le niveau fédéral est compétent sur certaines questions mais les régions le sont dans d’autres cas… ce qui n’améliore pas la lisibilité des positions. La presse belge a peu parlé de la présidence, tant la situation politique intérieure mobilisait toutes les colonnes. Si le gouvernement “en affaires courantes” n’a pas été un frein à l’exercice de la présidence tournante, remarquons tout de même que cela n’a pas aidé les hommes politiques…
Le 15e jour du mois : La Belgique cédera, à la fin du mois de décembre, la présidence de l’Union à la Hongrie. Peut-on tirer un premier bilan de l’action belge ?
Joseph Tharakan : Ce bilan est assez mitigé, me semble-t-il. Mais ce n’est pas nécessairement à cause de la présidence belge. Didier Reynders s’est dit réjoui qu’un contrôle européen sur les banques ait été décidé : les instruments seront mis en place dès le mois de janvier, paraît-il. Néanmoins, l’objectif de concevoir un “brevet européen” n’a pas été atteint et, surtout, un accord sur le budget 2011 n’a pas encore été trouvé.
Manifestement, la solidarité européenne est encore loin d’être acquise. Face au déficit public de la Grèce, la réaction des Etats est loin d’être unanime. L’Allemagne ne se montre guère enthousiaste à l’idée de prêter des capitaux et l’Autriche, suite à la publication de nouveaux chiffres sur l’amplitude du déficit d’Athènes, se montre réticente à verser l’argent promis. L’Europe apparaît très divisée, une fois encore.
Or, si la zone euro a apporté la stabilité de la monnaie (16 Etats sur 27 en font partie), elle se révèle très fragile en cas de choc. L’Irlande est maintenant aussi dans la tourmente. Depuis plusieurs semaines, les observateurs se posaient des questions. Pourra-t-elle honorer sa dette ? Trouvera-t-elle sur le marché des crédits à taux corrects ? Le gouvernement irlandais était formel : Dublin n’a pas besoin de faire appel au fonds mis en place par l’Union européenne. Selon le gouvernement, elle avait des réserves jusqu’à juin 2011 et avait pris des mesures financières drastiques afin de réduire sa dette, ce qui est de nature à rassurer les marchés financiers. Aujourd’hui pourtant, le pays fait, lui aussi, appel à une aide financière externe.
Il est indéniable que cette tourmente sur l’Irlande, conjuguée aux difficultés grecques, montre que l’Union monétaire est fragile et qu’un risque pèse sur la zone euro. C’était bien le sens de l’intervention du président Van Rompuy il y a quelques semaines.
Le 15e jour : Comment sortir de cette nouvelle crise ?
Joseph Tharakan : Un contrôle renforcé des budgets nationaux et une solidarité fiscale au niveau de l’Union seraient des pistes intéressantes. Mais le sujet est sensible, car il touche de près la souveraineté nationale. L’opinion publique – allemande notamment – y est très opposée et Angela Merkel a pris récemment des positions fermes contre une taxe européenne. Quant au Royaume-Uni, il est opposé à toute idée d’augmentation du budget européen. Résultat ? Une grande incertitude plane actuellement sur les finances, un domaine essentiel pourtant.
Certains préconisent par ailleurs l’implosion de la zone euro. Ce serait, dans ce cas, la fin de la monnaie commune et de tous ses avantages. S’il est vrai que la monnaie unique prive les Etats de la possibilité de “jouer” avec la monnaie en cas de crise – c’est-à-dire de dévaluer la monnaie –, cette solution porterait un très sérieux coup à l’Union européenne. Mais certains en Irlande se demandent s’il ne vaudrait pas mieux quitter le navire…
Propos recueillis par Patricia Janssens