Avec environ 1 500 000 volontaires, la Belgique fait preuve d’une culture du bénévolat très forte. Plusieurs dizaines de milliers d’associations portent ce type d’action méconnu : si l’importance sociale de l’associatif est indéniable, l’apport économique des volontaires et les emplois générés sont rarement soulignés. Jacques Defourny, professeur à HEC-Ecole de gestion et directeur du Centre d’économie sociale, rappelle le rôle essentiel du bénévolat.
Le 15e jour du mois : 2010, année européenne du volontariat. En Belgique, cela semble aller de soi. Et pourtant, le bénévolat n’est pas si bien connu et reconnu...
Jacques Defourny : Dans toutes les sociétés d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, le bénévolat est largement répandu et connu par tout un chacun, fût-ce de manière intuitive. Ailleurs, il s’exprime autrement ou est en phase d’émergence. Ce qu’on sait moins, c’est à quel point le bénévolat est important pour l’ensemble de la société et même pour l’économie.
Pendant longtemps, il a été considéré comme une activité philanthropique, presque comme un loisir de riches au XIXe siècle. Cependant, il a pris depuis bien d’autres formes. Au milieu des années 1970, lors de la première crise du pétrole, on s’est rapidement aperçu que le secteur marchand était limité dans ses réponses aux problèmes de société, que le secteur public ne parvenait pas non plus à satisfaire tous les besoins sociétaux, mais que ces enjeux étaient largement pris à bras le corps par le secteur associatif. Depuis trois décennies, on a ainsi redécouvert partout l’importance de ce secteur, notamment parce qu’il représente des centaines de milliers d’emplois, dans les champs de la santé, de l’éducation, de la culture, de l’action sociale, des loisirs, du sport, de la protection de l’environnement, de la coopération au développement ou encore de la défense des droits et des convictions. En Belgique, ce secteur représente aujourd’hui 10% de l’emploi salarié. C’est autant que tout le secteur de la construction et bien plus que celui des fabrications métalliques !
Le 15e jour : Les bénévoles sont au cœur du secteur associatif...
J.D. : La plupart des associations sont nées de “bénévoles entreprenants”. Quelques personnes créent une école de devoirs, un club de sport, une association locale de défense de l’environnement... qui fonctionne d’abord sans travail rémunéré. Puis, le besoin apparait tellement important pour la société que les pouvoirs publics et/ou des donateurs privés vont fournir un appui financier et permettre de développer une activité conjointe de salariés et de bénévoles Dans l’individualisme ambiant, avec la perte des anciens ciments sociaux, le volontariat est un enjeu majeur. Car l’associatif est, par excellence, le lieu où l’on peut apprendre à faire librement “cause commune”, même sur un objectif limité ou ponctuel, et à faire “caisse commune” de ressources (avant tout du temps, de l’énergie, de la créativité, des compétences, etc.). En ce sens, c’est également une école de la citoyenneté.
Le 15e jour : Le profil du bénévole a-t-il changé ?
J.D. : Aujourd’hui, un plus grand pragmatisme est observé chez le volontaire : qu’est-ce que ça va m’apporter ? Il faut d’ailleurs tordre le cou à l’image du bénévole mû par un altruisme pur. Le bénévolat apporte toujours quelque chose à celui qui fait don de son temps et de ses compétences. La grande majorité des volontaires diront d’ailleurs que l’activité qu’ils prestent contribue à leur épanouissement personnel et même à donner du sens à leur vie. Il est très important d’avoir au cœur même de l’économie des sphères d’activités où le sens est premier. Tant de domaines de l’économie fonctionnent uniquement parce qu’il y a des opportunités de profit. Il est donc essentiel de cultiver ce qui peut faire contrepoids. Le bénévolat est ainsi une manière d’entrer en rapport avec autrui, hors des liens du sang, sans enjeu financier premier et en voyant plus large que le seul intérêt personnel.
Le 15e jour : Que faire pour mieux soutenir le volontariat?
J.D. : Du côté des pouvoirs publics, même si le chemin est déjà entamé, considérer les associations comme des partenaires sur pied d’égalité, même celles qui travaillent surtout avec des bénévoles. Passer de déclarations de “pacte associatif” à des actes concrets et précis. Quant au secteur privé, il pourrait ouvrir des chantiers avec l’associatif. Le monde de l’entreprise veut montrer sa responsabilité sociétale, mais il peut aller plus loin que l’intégration de normes environnementales et sociales dans son core business. Si le bénévolat disparaissait, ce serait un cataclysme bien plus grave que la crise financière, car c’est l’irrigation de la société dans ses aspects les plus humains, dans ses parties les plus fragiles, les plus conviviales aussi, qui serait en danger. Le lien social en serait terriblement affecté.
Propos recueillis par Catherine Eeckhout
journaliste
secrétaire de rédaction du 15e jour du mois (depuis 1999)