Janvier 2011 /200
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Si on avait su, l’Université serait restée en ville…

Rencontre avec Marcel Dubuisson, initiateur du campus du Sart-Tilman

DubuissonMarcelNous avons rencontré l’homme qui a décidé, à la fin des années 1950, le transfert de l’université au Sart-Tilman. Le recteur Marcel Dubuisson jette un regard sévère sur l’évolution du domaine universitaire.*

Le 15e jour du mois : Comment trouvez-vous le domaine du Sart-Tilman aujourd’hui ? Il a bien changé depuis que vous avez quitté le poste de Recteur en 1971, non ?

Marcel Dubuisson : C’est peu dire que ça a changé ! Que de voitures ! Que de monde ! Je trouve que l’urbanisation du domaine n’a pas très bien évolué. Je comprends qu’avec 20 000 étudiants et 3000 chercheurs, l’Université doive s’étendre. Il faut bien construire de nouveaux auditoires et de nouveaux laboratoires. Mais j’ai le sentiment que les bâtiments s’ajoutent les uns aux autres sans véritable harmonie. Quand nous avons commencé le transfert de l’Université au Sart-Tilman, nous avions confié la coordination d’ensemble à un grand architecte, Claude Strebelle. Il avait une véritable vision du domaine. Je pense que cela fait un peu défaut aujourd’hui. Je trouve aussi que la qualité architecturale des nouveaux bâtiments n’est pas à la hauteur des premières constructions. Mais je sais que le contexte financier a changé.

Le 15e jour : Les années 1950 et 1960, c’était la période du “tout à l’automobile”.  Mais imaginiez-vous l’ampleur que ça allait prendre ?

M.D. : En 1960, presque aucun étudiant ne venait à l’Université en voiture. Et même si l’industrie automobile était en plein essor, comment pouvions-nous imaginer que, 50 ans plus tard, pratiquement un étudiant sur deux se rendrait aux cours en voiture ? Et puis, il y a le développement spectaculaire du CHU, le parc scientifique, etc. En plus des étudiants, 10 000 personnes viennent chaque jour travailler au Sart-Tilman ! Non, je l’avoue, ça, je ne l’avais pas prévu. Cela dit, je ne comprends pas pourquoi les pouvoirs publics n’ont pas encore instauré un service de transport public plus performant entre le centre de Liège et le domaine universitaire. J’ai pris le 48 ce matin. Quelle galère ! 30 minutes de trajet, serrés comme des sardines, debout… C’est dommage que la réflexion actuelle sur le tram à Liège, qui s’oriente vers des lignes de fond de vallée, le long de la Meuse, n’intègre pas les besoins de mobilité entre la ville et le Sart-Tilman. Je crois qu’on est en train de rater une occasion historique pour le domaine universitaire et pour le développement de la ville en général.


Le 15e jour : A la fin des années 1980, l’Université a décidé de conserver une implantation importante au centre de Liège. Une bonne décision ?

M.D. : C’est la ville qui a demandé à l’Université de rester. A l’époque, Liège était en pleine crise financière, au bord de la faillite. Les chancres, notamment industriels, se multipliaient. Qu’aurait-on fait des bâtiments de la place du 20-Août et de la place Cockerill ? Ils seraient restés à l’abandon durant de très longues années. Dans ce contexte, je comprends le choix de l’Université. Certes, il n’est pas très confortable que l’administration centrale et le rectorat soient ainsi coupés de la vie universitaire, mais les moyens de télécommunication modernes réduisent les distances. Et puis, le domaine universitaire commence à être saturé et les budgets d’investissement sont trop faibles. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque où nous avons décidé de déménager au Sart-Tilman, un des objectifs principaux était de protéger le poumon vert de la ville, qui était menacé par la promotion immobilière. L’installation de l’ULg sur la colline était un projet écologique. De ce point de vue, nous avons réussi. Grâce à l’Université, des centaines d’hectares de nature ont été protégés.

Le 15e jour : Avec le recul d’aujourd’hui, vous décideriez encore le déménagement de l’Université?

M.D. : C’est vrai que la crise de l’énergie, le réchauffement climatique et la crise des finances publiques, spécialement en Communauté française, éclairent la question d’un jour complètement nouveau. Si l’on avait su ce qui se passerait entre 1970 et 2000, on aurait jugé beaucoup plus rationnel de se redéployer en ville, sur des terrains comme le Val-Benoît, Bavière ou à Coronmeuse, proches des nœuds de communication. Evidemment, comme l’espace au sol en ville est restreint, il aurait fallu construire en hauteur. Mais après tout, que ce soit l’Université qui donne à la ville de Liège ses constructions les plus élevées, quel beau symbole, non ? Quant à mon rêve – l’installation de toute l’université au Sart-Tilman –, il ne se  poursuivra qu’avec le retour de la prospérité et une reprise de l’expansion urbaine. Mais ce n’est pas pour demain. Après-demain, peut-être…

LouisFrancoisPropos recueillis par François Louis
journaliste à la RTBF
rédacteur en chef du Quinzième jour (1994 - 1997)






* Cette interview est une pure fiction, librement inspirée des Mémoires de Marcel Dubuisson et d’un entretien avec le recteur honoraire Arthur Bodson. Le recteur honoraire Marcel Dubuisson a dirigé l’université de Liège de 1953 à 1971. Il est décédé en 1974. Les premières acquisitions de terrains par l’Université au Sart-Tilman datent de 1959. Le premier bâtiment construit est une annexe de la bibliothèque, le magasin à livres, inauguré en 1965.

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