Février 2011 /201
Février 2011 /201

Quels risques pour la dette belge ?

Crise politique majeure, répercussion sur l’économie

SougneDanielleFace à l’incurie actuelle des politiciens belges, les marchés financiers ne restent pas sans réaction. Les investisseurs exigent de l’Etat belge une prime de risque plus élevée pour participer à son financement. Lorsque le Trésor belge souhaite lever des fonds sur l’obligataire, il doit désormais consentir un rendement à cinq ans de 3,32%, soit 1,12% de plus que l’Allemagne. Cette prime de risque est neuf fois plus élevée que celle de la France (0,12%) et presque aussi élévée que celle de l’Italie (1,55%).

Plusieurs fondamentaux économiques expliquent cette augmentation significative de la prime de risque. La dette publique belge (98,6%) est effectivement la troisième en importance dans la zone euro après la Grèce (140,2%) et l’Italie (118,9%) et le déficit public de la Belgique (4,6% du PIB en 2010) est un des plus bas de la zone euro. La Belgique est aussi un des seuls pays de la zone euro à afficher un surplus de la balance extérieure courante. Elle a accumulé une créance nationale sur le reste du monde; les avoirs extérieurs nets des agents privés compensent largement la dette extérieure de l’administration publique. Par ailleurs, le taux d’épargne des ménages belges est un des plus élevés du monde avec 18,3% du revenu disponible et le taux de croissance du PIB, de l’ordre de 2%, fait partie des meilleurs taux de croissance européens.

Aujourd’hui, les risques politiques, les risques de solvabilité, l’exposition du secteur bancaire belge aux dettes des pays européens à risque et la spéculation expliquent cette appréciation de la prime de risque.

La lenteur de formation d’un nouveau gouvernement retarde l’adoption de plans d’assainissement budgétaire de nature à limiter le déficit public et à réduire la dette. De plus, les déclarations intempestives sur une éventuelle scission de l’Etat suscitent des craintes quant à la continuité du service de la dette.

On assiste en outre à un repricing des pays dont la dette est élevée comme c’est le cas pour l’Italie et la Belgique. En effet, en novembre dernier, les ministres des Finances européens ont mis en place un mécanisme européen de stabilité permanent ( ESM) qui remplacera en 2013 le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ce mécanisme prévoit une possible implication du secteur privé au cas où un pays de la zone euro serait en état d’insolvabilité. En clair, toutes les obligations émises à partir de 2013 pourraient faire l’objet d’une restructuration. Dès lors, les investisseurs privés passeront après l’ESM et le FMI. Même si un nouveau gouvernement est formé, il faut s’attendre à ce qu’un spread – l’écart de taux entre une obligation d’Etat belge et une obligation allemande – de 100 à 120 points de base soit la nouvelle réalité.

L’exposition du secteur bancaire belge aux dettes des pays européens à risque constitue une autre source de préoccupation. Plus grande est la taille du secteur bancaire par rapport à la surface économique d’un pays, plus fort est l’aggravation du ratio d’endettement de l’Etat en cas de sauvetage forcé des banques. Or les actifs du secteur bancaire belge pèsent 380% du PIB national, contre seulement 141% en Grèce, 151% en Italie, 188% au Portugal, 205% en Finlande, 246% en Allemagne, 299% en Autriche ou 338% en France. L’exposition des banques belges à la dette irlandaise s’élève à 6,4% du PIB de la Belgique. C’est une valeur bien plus élevée que l’exposition à la dette irlandaise des banques allemandes (4,4% du PIB), par exemple. Le 30 novembre, en pleine crise de la dette publique irlandaise, le spread sur les obligations linéaires belges à dix ans a atteint un pic de 139 points de base à cause de l’exposition des banques belges aux titres obligataires irlandais.

“La lenteur de formation d’un nouveau gouvernement
retarde l’adoption de plans d’assainissement budgétaire“

Les spéculateurs qui mettent la pression sur les obligations d’Etat utilisent principalement deux techniques. La première consiste à vendre du “papier” qu’ils ne possèdent pas. Cette pratique s’appelle la vente à découvert ou short selling. Le principe ? Un investisseur vend à un prix et à une date déterminée un titre qu’il ne détient pas en portefeuille. Spéculant à la baisse, il espère gagner de l’argent sur la différence entre le prix de vente de ce même titre et le prix de rachat au moment de la livraison. Pour lutter contre cette forme de spéculation, certains régulateurs ont interdit les ventes à découvert à nu sur les titres souverains, notamment la Bafin en Allemagne pour le Bund allemand. La seconde technique consiste à jouer sur le marché des Credit Default Swap (CDS). Le CDS est un produit dérivé permettant de s’assurer contre le risque de défaut de paiement d’un Etat ou d’une entreprise. Plus le risque s’accroît, plus le prix du CDS augmente. Les CDS permettent donc à un investisseur d’alimenter indirectement la panique sur les marchés. Comment ? En pariant sur une hausse de la valeur des CDS sans pour autant avoir l’obligation à couvrir en portefeuille. Le 10 janvier dernier, le prix des CDS à dix ans sur la dette belge a atteint un prix record de 245 points de base. La plupart des autorités publiques sont d’avis que la transparence de ce marché est loin d’être satisfaisante et craignent que les prix soient manipulés.

Danielle Sougné
chargé de cours à HEC-Ecole de gestion de l’ULg
présidente de l’UER Finance, Comptabilité et Droit
titulaire de la chaire KBL en industrie des fonds

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