On savait que les océans Pacifique et Atlantique étaient souillés par des déchets plastiques ; on sait maintenant que cette pollution atteint également la Méditerranée. Les premiers résultats de l’expédition “Méditerranée en danger ” (MED) – réalisés avec le concours de l’ULg – viennent de le démontrer.
C’est en constatant l’augmentation des microplastiques à la surface des océans que les défenseurs de l’environnement se sont alarmés. Combien en trouve-t-on vraiment ? Y en a t-il dans toutes les mers du monde ? Quel est leur impact sur le neuston, nom savant qui désigne les organismes planctoniques vivant dans les premiers centimètres sous la surface de la mer ? Certains groupes, comme le zooplancton et les hydroméduses siphonophores1, sont-ils particulièrement touchés ? C’est dans l’intention de répondre à ces questions, notamment, que des passionnés de la nature et de la mer ont affrété un bateau pour faire le tour de la Méditerranée pendant quatre ans. Ils ont sollicité l’aide d’équipes scientifiques2, dont le Dr Galgani de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et le laboratoire d’océanologie-unité du plancton de l’ULg.
“Les océanologues liégeois effectuent
des prélèvements hebdomadaires d’eau de mer
depuis 30 ans”
La station de recherche océanographique et sous-marine de l’ULg (Stareso) collecte en effet depuis 1979 des prélèvements hebdomadaires d’eau de mer et de plancton dans la baie de Calvi. L’expertise des chercheurs liégeois en la matière est reconnue par les équipes scientifiques internationales, lesquelles viennent volontiers consulter les données répertoriées ou examiner les échantillons conservés. « Amandine Collignon, jeune doctorante de notre laboratoire, est montée à bord de l’Halifax pendant un mois », précise le biologiste Jean-Henri Hecq, maître de recherches FRS-FNRS et codirecteur de sa thèse avec Anne Goffart.
« Nous avons effectué 76 échantillons de zooplancton au filet d’un maillage de 330 µm en surface et de 200 µm sur la verticale aux différents points d’échantillonnage, explique la toute jeune chercheuse. Nous avons sondé, dans le neuston, 40 stations réparties plutôt dans le bassin nord-ouest de la Méditerranée, près des côtes mais aussi au large. De retour à Stareso, j’ai ensuite trié et séparé le zooplancton, les méduses et les microplastiques sous la loupe binoculaire. Puis, j’ai mesuré le volume des fragments de microplastiques sur l’ensemble des échantillons. »
Les résultats sont édifiants : 90 % des stations visitées – au large des côtes françaises et dans le nord de l’Italie – contiennent en surface de microdéchets faits de plastique pour la grande majorité. « Il s’agit de microéléments, continue Amandine Collignon, entre 0,3 et 5 mm. Ils proviennent pêle-mêle de la dégradation des sacs plastiques, de bidons divers, de coton-tiges, de morceaux de frigolite, de pots de yaourt, etc. » La Grande Bleue transformée en poubelle… « La Corse n’est pas épargnée, c’est très net dans la baie de Calvi. Or, la pollution ne provient pas de l’île : ce sont les courants qui apportent ces microdéchets », reprend Jean-Henri Hecq.
Comment les stocks de microplastiques vont-ils évoluer au large de la Corse ? Aujourd’hui, personne ne peut le dire. « Nous ne connaissons pas l’âge exact de ces particules qui proviennent d’une dégradation mécanique et chimique des macrodéchets sous l’action du sel et des vagues, et nous ne savons pas combien de temps il faudra encore pour qu’elles disparaissent complètement », poursuit Anne Goffart. Il n’est pas exclu que les concentrations continuent à augmenter au cours des prochaines années, même en arrêtant aujourd’hui tout rejet…
Ces premiers résultats laissent les scientifiques perplexes : non seulement la plupart des échantillons du neuston – y compris ceux effectués au large – comportent des microplastiques mais en outre ceux-ci sont très abondants. « Si l’on extrapole nos données à l’ensemble de la Méditerranée – opération toujours discutable vu le nombre encore limité de prélèvements à l’heure actuelle – cela donnerait près de 250 milliards de microdéchets évalués à 500 tonnes environ. Soit une concentration supérieure à celle de la gyre atlantique où les grands tourbillons formés de plusieurs courants marins accumulent ce même type de déchets », poursuit Amandine Collignon.
Autre sujet d’inquiétude : le zooplancton se retrouve au contact des microdéchets de plastiques de taille identique et dans les mêmes proportions. Or l’habitat neustonique contient une biodiversité zooplanctonique spécifique très abondante, laquelle attire nombre d’espèces de poissons et incite les femelles à venir y déposer leurs œufs. « Nous avons identifié des vélelles (Velella velella) comme exemple typique, constate Amandine Collignon. De nombreux œufs et larves de poissons s’accumulent dans le neuston pendant une partie de leur vie et d’autres larves de crustacés s’y cantonnent (porcellanes, phylosomes de palinnurides, copépodes pontellidés). »
“Les microdéchets sont absorbés
par les poissons et les oiseaux”
Quelles conséquences cela a-t-il sur ces larves qui, en se nourrissant, absorbent vraisemblablement ces microéléments ? « On soupçonne des risques mécaniques tels que des occlusions et des risques écotoxicologiques, avec les polluants qui sont susceptibles de passer dans les tissus », s’inquiète Jean-Henri Hecq. Au point de présenter des risques pour la consommation humaine ? C’est encore trop tôt pour s’aventurer dans cette voie, mais l’inquiétude est de mise. Une étude de l’absorption de microdéchets par une famille de poissons, les Myctophidés, est d’ailleurs en cours suite aux prélèvements de la campagne 2010. Une étude sur les oiseaux devrait aussi commencer.
Dernier constat : colonisés par de petites algues, les microplastiques font office de vecteurs de dispersion. Emportés par les courants, les débris favorisent alors la propagation d’espèces invasives dans toute la Méditerranée…
Patricia Janssens
Photos : Bruno Dumontet
1 La campagne MED fournit une occasion majeure et irremplaçable d’échantillonner et d’étudier conjointement les microplastiques et les hydroméduses siphonophores, sujet de thèse de doctorat d’Amandine Collignon (laboratoire d’océanologie).
2 Initiée par des passionnés bénévoles, l’expédition est adossée à une dizaine de partenaires scientifiques dont l’Ifremer, l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer, les universités de Liège, de Gênes, de Nice ou encore de Toulon…
Informations sur le site de l’expédition MED : www.expeditionmed.eu/fr/
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Photo : A. Goffart |