Février 2011 /201
Février 2011 /201

De La Poste à b-post

La libéralisation du secteur postal a pris effet, chez nous, le 1er janvier, en ne manquant pas de susciter des réactions aussi nombreuses que mitigées, majoritairement citoyennes.
Axel Gautier, chargé de cours à HEC-Ecole de gestion de l’ULg, et Didier Vrancken, directeur de l’Institut des sciences humaines et sociales et auteur de l’ouvrage Le Nouvel Ordre protectionnel, livrent leur point de vue.


GautierAxelLe 15e jour du mois : Que doit-on attendre de la libéralisation du secteur postal en Belgique ?

Axel Gautier : Les discussions qui entourent cette transformation prévue de longue date se focalisent entre autres sur le service postal universel, c’est-à-dire la distribution et la collecte quotidienne du courrier dans l’ensemble du pays à un tarif abordable et son financement. Le secteur étant libéralisé, de nouvelles entreprises postales peuvent maintenant s’établir sur le marché belge et, sous l’effet de cette concurrence nouvelle, l’opérateur historique pourrait perdre une part importante de son marché. En outre, la poste papier est de plus en plus en concurrence avec internet et les moyens de communication électronique avec, comme conséquence, une baisse substantielle des envois. L’érosion du volume de courrier papier qu’implique une concurrence accrue est problématique car les coûts de distribution ne diminuent pas proportionnellement avec le volume de courrier. Le service universel prévoit une distribution journalière et celle-ci doit être assurée quel que soit le nombre d’envois. Une diminution trop importante du courrier traité par l’opérateur historique constitue donc une menace pour le financement du service universel tel qu’il existe aujourd’hui.

Ceci étant rappelé, il reste difficile de se prononcer autrement que de manière ambiguë sur la libéralisation du marché postal. Il est au moins certain que celle-ci ne bénéficiera pas à tout le monde. Même si la loi belge a bel et bien prévu une série de dispositions (statut du personnel, couverture territorial minimale fixée à 80 %, deux distributions hebdomadaires au minimum) qui s’appliqueront à tous les opérateurs, la cible des nouveaux entrants ne sera pas le courrier traditionnel, celui par lequel nous délivrons nos bons vœux. Il s’agira plutôt du courrier commercial (direct mailing, facturation, etc.), ce courrier envoyé en masse, pré-trié par l’expéditeur et soumis à des impératifs de livraison particuliers, lesquels ne requièrent pas le service J+1 qui nous est familier. Ces gros clients, quoique peu nombreux, représentent aujourd’hui la majorité du trafic postal et, constituant la cible prioritaire des nouveaux opérateurs, bénéficieront de cette concurrence. En dernière analyse, la libéralisation du secteur postal ne profitera sans doute pas aux petits utilisateurs. Au contraire, il est à craindre qu’à l’instar du cas suédois, la baisse des tarifs applicables aux clients les plus importants ne soit compensée par une hausse de prix pour le courrier traditionnel.

Le 15e jour : Quid alors des effets potentiellement néfastes du courrier électronique ?

A.G. : Les effets d’internet sur les services postaux sont réels et les efforts qui ont été consentis ces dernières années par b-post pour accroître la productivité ont sans doute limité son impact. A terme, si l’on souhaite maintenir le service actuel avec, entre autres choses, cinq distributions par semaine, et si les volumes continuent de s’éroder, le service en deviendra inévitablement plus cher. Il conviendra alors de se demander ce que nous attendons de lui : veut-on encore, à l’heure d’internet, préserver une distribution quotidienne ? Souhaite-t-on encore que notre courrier conserve une forme tangible, ou bien peut-on, par exemple, envisager qu’un document papier puisse être scanné par l’opérateur, puis distribué électroniquement ? Ces questions seront posées tôt ou tard, le service postal physique risquant de coûter de plus en plus cher.

 VranckenDidierLe 15e jour du mois : Que doit-on attendre de la libéralisation du secteur postal en Belgique ?

Didier Vrancken : La libéralisation du marché postal, qui a pris effet un peu partout en Europe, est tout de même allée de pair, depuis 2003, avec la suppression de près de 10 000 emplois en Belgique et le recours à des formules de compensation bien connues : temps partiels, intérims, contrats à durée déterminée, ce qui contribue encore très souvent à fragiliser les parcours professionnels et familiaux. La libéralisation d’un service public tel que La Poste rendant de moins en moins pertinente l’idée d’emploi protégé, on assiste à une montée des précarités dans les parcours de vie, au long duquel il faut être en situation constante de veille pour maintenir sa propre employabilité. C’est ce que j’ai appelé les “nouvelles politiques protectionnelles” : un nouveau régime de protection qui ne serait plus caractérisé par une forte protection sociale, mais ferait davantage appel à des logiques plus individualistes s’appuyant sur le recours au temps partiel, s’accompagnant de disparités salariales, d’emplois et de parcours de vie de plus en plus précaires.


Cela dit, les travailleurs de l’entreprise ne sont pas les seuls à en subir les effets : en l’occurrence, les facteurs sont désormais des distributeurs de courrier et non plus les agents d’un service universellement distribué auxquels la population était attachée, parce que très présents. Ils assuraient un service de proximité auprès des gens. Du reste, bon nombre de bureaux de poste ont été remplacés par des “Points Poste”, une idée qui suppose de confier le service postal à des marchands a priori sans lien avec La Poste : ce sont, la plupart du temps, des librairies et des grandes surfaces, qui par ailleurs ne sont pas en mesure d’assurer le service bancaire. Et c’est sans parler du fait que, même en promettant de maintenir ouvert un bureau de poste par commune, ces changements posent aux citoyens fragilisés – en raison de leur âge ou de leur situation géographique notamment – des problèmes de mobilité considérables. Les protestations citoyennes n’ont d’ailleurs pas tardé à se faire entendre, chez nous comme à l’étranger. Mais dans ce nouveau cadre fixé par l’Europe, les ménages ne pèsent pas très lourd dans le chiffre d’affaires des opérateurs. Il est d’ailleurs à craindre que le coût de cette réforme ne soit pour partie reporté sur les usagers que nous sommes, tout comme ce fut largement le cas dans nombre de pays avec la libéralisation du marché de l’électricité.

Le 15e jour : C’est donc un retrait de plus de l’Etat ?

D.V. : Ce retrait n’est en réalité qu’apparent, puisque l’Etat demeure l’actionnaire majeur de b-post. Assez paradoxalement, nous avons l’impression qu’il se désinvestit alors même qu’il n’a peut-être jamais autant augmenté son champ d’action dans toute une série de services, par le truchement de partenariats privés ou associatifs qui rendent néanmoins des services d’intérêt public. Il faut bien voir que nous sommes de plus en plus demandeurs de services dans des domaines aussi diversifiés que ceux de la santé et de l’éducation, pour ne citer que ceux-là. L’Etat n’est donc pas forcément plus ou moins absent qu’auparavant, mais il recherche de nouvelles formes de déploiement des politiques publiques. La libéralisation s’inscrit dans ce cadre-là.

Propos recueillis par Patrick Camal

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