La Belgique est dans l’impasse : elle n’a plus de gouvernement depuis près de huit mois. Une situation qui fait suite aux élections du 13 juin 2010, lorsque les citoyens ont appelé aux responsabilités des hommes politiques que tout sépare. La Flandre a plébiscité le tout jeune parti de Bart De Wever, la Nieuwe-Vlaamse Alliantie (N-VA), situé à droite de l’échiquier politique et qui affiche des velléités de séparatisme, tandis que la Wallonie a soutenu le Parti socialiste (PS) redevenu – après la défaite de 2007 – la première famille politique du sud du pays. Tentative de décryptage avec Pierre Verjans, politologue, chargé de cours en faculté de Droit et de Science politique.
Le 15e jour du mois : Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?
Pierre Verjans : La situation a le mérite d’être claire : la N-VA, un parti qui a mis à son programme la fin de la Belgique, est aujourd’hui le parti le plus important de Belgique. Bart De Wever sait qu’il doit profiter de cette situation historique. Les sondages montrent d’ailleurs que si son capital de sympathie n’a cessé de croître durant l’été, il stagne aujourd’hui. Le moment est donc venu, pense le député fédéral d’Anvers, de faire aboutir les revendications flamandes et de répondre ainsi à l’exaspération de ses concitoyens… qui en ont assez des francophones ! Assez de la gouvernance socialiste en Wallonie, assez du chômage wallon, assez le l’arrogance de Bruxelles, assez de la langue française, etc., etc. Cela ne signifie pas forcément que les citoyens du Nord souhaitent mettre un terme à la Belgique, mais ils exigent une réforme de l’Etat qui leur laisse les mains libres. Face à cette détermination, les partis francophones restent sans voix, découvrant – avec un certain ahurissement – la volonté des partis du nord du pays. On est dans une incompréhension mutuelle.
Le 15e jour : Comment expliquer pareille crispation ?
P.V. : Regardons les chiffres. A l’heure actuelle, les francophones disposent de 62 sièges à la Chambre, les Flamands de 88. C’est une question de démographie. Majoritaires, les Flamands n’acceptent plus qu’une minorité refuse les réformes indispensables selon eux. L’antienne “Nous ne sommes demandeurs de rien”, serinée ad libitum par les partis francophones durant la campagne électorale de 2007, a vécu.
Photo : J.-L. Wertz
Notons qu’à l’époque, tous les hommes politiques ainsi que les commentateurs – dont votre serviteur – disaient que cette position empêcherait tout changement puisque la réforme de la Constitution requiert les deux tiers des voix à la Chambre, soit 100 voix sur 150. Myopie ou surdité ? Ce refus obstiné a conduit au blocage actuel. Car les Flamands, dans l’incapacité parlementaire d’arriver à leurs fins, grippent le système gouvernemental, mieux : ils le paralysent.
Le 15e jour : Le rapport de Johan Vande Lanotte, ancien président du Socialistische Partij Anders (SP.A), comprenait pourtant des concessions importantes de la part des francophones.
P.V. : Effectivement, mais insuffisantes aux yeux des Flamands. De plus, la NV-A n’ose pas franchir le Rubicon ! Depuis le mois de juin, chaque fois qu’un accord est sur le point d’être être signé, Bart De Wever met sur la table un nouveau sujet de discussion (récemment la scission des allocations de chômage et de l’Onem par exemple)… au grand dam des partis francophones !
L’attitude de la N-VA s’explique par deux syndromes : d’une part, celui d’Hugo Schlitz (ex-président de la Volksunie) qui, en 1977, a négocié le pacte d’Egmont… et perdu les élections suivantes ; d’autre part, celui d’Yves Leterme, qui n’a rien cédé mais qui a perdu les élections ensuite… Que faire alors sinon démontrer que la Belgique ne fonctionne plus ?
Le 15e jour : Que dire de l’attitude des partis francophones aujourd’hui ?
P.V. : Les partis francophones semblent avoir compris que tant qu’ils ne céderaient pas devant les revendications flamandes – alors même que certaines d’entre elles bafouent des principes qu’ils estiment fondamentaux comme la solidarité interpersonnelle – alors les partis flamands refuseraient de former un gouvernement. Cela explique que le PS, le CDh, Ecolo – et probablement le MR si on lui en donnait l’occasion – sont prêts aujourd’hui à évoquer des points réputés non-négociables en 2007 : la scission de BHV par exemple, la régionalisation voire la communautarisation des allocations familiales, etc.
Le 15e jour : Pensez-vous que le blocage actuel conduira à une implosion du pays ?
P.V. : Tout le monde l’envisage mais personne ne voit comment faire. D’un point de vue géopolitique, la dislocation du pays est impensable : la Belgique est née en 1830 sous le regard bienveillant de l’Angleterre, de la France et de la Prusse. En admettant même que les trois régions de notre pays se séparent pacifiquement, au moment où elles viendront frapper à la porte de l’Europe, la France, l’Allemagne et l’Angleterre ne les recevraient probablement pas tout de suite à bras ouverts. Ce serait ouvrir la voie à l’Ecosse et au Pays de Galles, à la Corse et aux Bretons voire aux Bavarois… Les Flamands l’ont finalement compris : ils ne claqueront pas la porte car leur reconnaissance dans l’Union serait trop problématique.
Par ailleurs, la Belgique héberge le siège de la Commission. Bruxelles, en cas de partition de l’Etat, risque d’être dépossédée de ce joyau. Bonn n’est guère éloignée et prête, en cas d’instabilité persistante, à attirer les institutions européennes, lesquelles entraîneraient dans leur sillage l’ensemble des lobbys installés à Bruxelles ainsi que les multinationales…
Le 15e jour : Alors que faire ?
P.V. : A l’heure actuelle deux voies se dessinent. La première consiste à mettre autour de la table les partenaires renouvelés, rafraichis, en permettant aux ardents défenseurs flamands des “avancées communautaires” d’obtenir une part substantielle de leur promesse faite aux électeurs. La seconde serait de retourner aux urnes pour donner un nouveau mandat aux négociateurs francophones… qui pourraient reculer encore. En, 2007 ils n’étaient “demandeurs de rien”, en 2010 ils ont accepté une “réforme institutionnelle significative”. En 2011, ils seraient sans doute prêts à entériner la volonté flamande de dissoudre l’Etat belge et l’Etat social dans un “confédéralisme” ayant comme fonction d’avoir accès à la parole à l’Union européenne. Sinon, le blocage de ce qui reste de l’Etat belge persisterait sauf à espérer que la N-VA perde les élections, hypothèse peu probable.
Propos recueillis par Patricia Janssens
| Regards croisés sur l’avenir belge des citoyens wallons Conférence-débat organisée par l’Association des professeurs de l’ULg Avec le Pr Bernard Jurion (HEC-ULg), Pierre Verjans et Christian Behrendt (faculté de Droit et de science politique) Le 16 février de 18 à 20h Amphithéâtres de l’Europe, Sart-Tilman, 4000 Liège Contacts : courriel Christian.Hanzen@ulg.ac.be |