Mars 2011 /202
Mars 2011 /202

Une forêt pour demain

Le Sart-Tilman, un domaine boisé qui se gère jour après jour

ST-marquageSelon le plan de gestion d’ensemble datant de 1975, le domaine universitaire du Sart-Tilman se divise en trois parties essentielles sur une superficie de 760 ha : le parc sur lequel sont érigés les bâtiments (160 ha), une réserve naturelle agréée de 240 ha qui s’étend de la lande de Streupas jusqu’au Blanc Gravier et la zone forestière non classée recelant également un potentiel immobilier et dont près de la moitié est aussi gérée en réserve intégrale. Cette forêt induit une importante quantité de bois mort – de l’ordre de 20 m³ par hectare –, lui conférant un caractère anarchique à l’image de la portion située en face des homes étudiants. « Si l’ULg n’avait pas construit le Sart-Tilman, je pense que les promoteurs auraient tout phagocyté, estime Pierre Vandewalle, professeur au département des sciences et gestion de l’environnement et président du conseil scientifique des sites du Sart-Tilman. L’Université a urbanisé dans l’optique de préserver au maximum le site et même si la politique actuelle tend à remettre pied en ville, il s’agit de lui conserver un potentiel d’extension immobilière. » Une carte IGN de 1974 montre que si 10 à 20% de la surface verte ont été grignotés par l’urbanisation, l’Université a également reboisé une vaste zone de prairies. La zone du CHU ainsi que le versant gauche du Blanc-Gravier étaient recensés comme des espaces ouverts où la croissance des arbres a d’ailleurs éloigné des espèces animales adaptées comme l’oiseau crépusculaire du nom d’engoulevent. « Rien n’est moins vierge qu’une forêt », écrivait le poète Jacques Prévert.

Halte aux parkings

ST-ChuteA l’heure où les préoccupations écologiques se généralisent, les gestionnaires du site relèvent d’ailleurs une grande incompréhension du public face à la simple gestion courante de la forêt qui, en dehors des réserves naturelles évoluant strictement sans intervention humaine, nécessite des coupes de bois régulières. C’est encore plus vrai en forêt urbaine !  « Mais cette année la neige fut pire qu’une tempête, relève Jean-Marc Lovinfosse, garde forestier de l’ULg. En 20 ans de métier, je n’ai jamais vu autant d’arbres cassés ou déracinés sous le poids de cette neige collante. Sur certains versants, l’on se croirait dans un couloir d’avalanche… C’est de l’ampleur d’une calamité naturelle. » Actuellement attelé au nettoyage de ces stigmates à coups de tronçonneuse, ce drogué de plein air parle de plusieurs milliers de m3 détruits. Or, chaque abattage d’arbres amène son lot de réactions offusquées qui soulignent le décalage entre une certaine évolution sociétale et la réalité de la nature.

Si d’autres bâtiments vont sortir de terre, à l’instar du nouveau restaurant des abords de l’esplanade de l’Université, il n’est par contre pas question que le bitume des parkings fasse tache d’huile. « Le conseil scientifique des sites a toujours prôné des parkings où l’eau percole, ce qui est beaucoup plus difficile et coûteux à réaliser que le simple goudronnage. Alors que le parc automobile ne cesse de croître et que chacun rêve encore de se garer devant la porte de son bureau, il a fallu du temps pour faire accepter la navette reliant le CHU au parking du Country Hall », précise le Pr Vandewalle. Une optique confirmée par Luc Schmitz, ingénieur agronome à l’Administration des ressources immobilières (ARI) et responsable de l’entretien des espaces extérieurs de l’ULg – et donc de la forêt – qui rappelle que, de surcroît, la Région wallonne proscrit le déboisement au profit d’aires de stationnement. « Des interventions locales liées à de nouvelles constructions (un point d’accueil au rond-point de l’Europe, de nouvelles bâtisses près de la faculté des Sciences appliquées) nous attendent, commente notre gestionnaire forestier, homme placide et passionné. D’autres actions comme le plan de lutte contre les espèces invasives, telles que les renouées asiatiques et la grande balsamine,  font l’objet d’une cartographie précise, pour aider à la mise en place de méthodes d’éradication progressives et écologiques. »

Faire barrage aux castors

ST-CastorLa zone boisée d’Angleur et de Tilff et les 570 ha relevant de notre Alma mater jouent le rôle de forêt péri-urbaine qui confère indéniablement à la population un cadre de vie de qualité. Elle représente aussi une remarquable source de biodiversité – même si elle n’abrite pas d’espèces véritablement exceptionnelles – car, dans une action collective de préservation de la nature à l’échelle d’un territoire plus vaste, chaque enclave locale revêt son importance. Et lorsque les espèces cohabitent harmonieusement, c’est encore mieux.

Derrière leurs dents remuantes et leur obsession à stocker des quantités de liquide non houblonneux (ce qui les différencie de leurs voisins étudiants), des castors ont investi les bras d’eau situés tout en bas du château de Colonster. La soixantaine d’hectares classés à l’alentour – où l’on trouve d’ailleurs des essences exotiques telles que séquoias, pins douglas ou pin noir de Corse – abritent une colonie très active et redoutablement efficace dans l’abattage d’arbres en tous genres. « Les castors provoquent régulièrement des inondations à cet endroit-là, nous explique-t-on face à un tronc d’un mètre de diamètre (ou presque), entaillé à la façon d’un bucheron et prêt à s’affaler. On les a vus construire des barrages dans le caniveau bordant la route nationale, afin de pouvoir circuler tranquillement à la nage au point d’amener le niveau de l’eau à 10 cm de celui de la route ! » Des réintroductions hasardeuses associées aux règles de protection en vigueur ont permis à ces populations de se reconstituer un peu partout en Wallonie. Peut-être les considèrera-t-on un jour comme des nuisances, tout comme les très envahissants sangliers dont les instincts dévastateurs de jardins ont valu à l’ULg de trop nombreuses plaintes de riverains…

Tapies au milieu des feuilles, ces sangliers (qui partagent leur territoire avec des chevreuils, hérons, renards et autres blaireaux) n’ont pas le succès des couleuvres qui effraient les filles aux abords de la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation. « La quantité de bois mort [20 m³ à l’hectare, ndlr], la création de sites de ponte et l’ouverture de lisières expliquent que l’on accueille la plus grosse concentration de couleuvres à collier de Wallonie », relève Jean-Marc Lovinfosse. Aidé par les neuf agents de l’asbl Les Amis du Domaine du Sart-Tilman, il assure la surveillance et la gestion de terrain. Ce qu’il aime, c’est faire découvrir et respecter cet espace de nature plein de découvertes, bonnes ou mauvaises ! « La magnifique lande de bruyère de Streupas, qui a été progressivement restaurée, est l’une des plus grandes zones de lande ouverte de la région et reste une source d’éblouissement. » Les promeneurs peuvent y découvrir, par exemple, la pensée et le tabouret calaminaires.

Les arbres, carburant écologique

ST-BlasonLe massif forestier du Sart-Tilman représente près des 3/4 de la superficie totale du domaine universitaire. Dans l’hypothèse d’une population d’environ 20 000 personnes utilisant le site, cela correspondrait à une étendue moyenne de 2,9 ares pour chacune d’entre elles. L’on parle essentiellement de chênes (23%) et de hêtres, mais aussi de résineux (18%) tels que le pin sylvestre, noir et douglas complétés par des bouleaux verruqueux, aulnes glutineux, frênes et merisiers.

« Outre ses fonctions de récréation, de protection et de conservation biologiques, la forêt en place intervient à deux autres titres qui s’inscrivent parfaitement dans le contexte des enjeux environnementaux : le stockage du carbone atmosphérique et celui, éventuel, de la valorisation énergétique de la biomasse ligneuse produite », développe Jacques Rondeux, professeur émérite de ULg-Gembloux Agro-Bio Tech, actuellement chargé de chapeauter un projet de valorisation de la biomasse d’une partie exploitable de la forêt du Sart-Tilman sous forme d’énergie calorifique.

« En ce qui concerne le volet “stockage du carbone”, on peut raisonnablement évaluer à 80 000 tonnes la quantité de carbone atmosphérique stocké par la forêt en place, compte tenu des essences existantes et des volumes totaux du matériel ligneux actuellement sur pied. On est évidemment loin du compte si l’on considère que cette étendue boisée a plus une valeur “d’existence” que de production et de ce fait, ne fait pas depuis plus de 50 ans, l’objet d’une gestion sylvicole orientée, entre autres, vers le rajeunissement. » Une sylviculture proche de la nature, là où les zones ne relèvent pas d’un statut de protection (réserves intégrales, par exemple), contribuerait à diminuer globalement les émissions de CO2 et jouerait un rôle important en participant à la diminution de l’empreinte écologique du domaine universitaire, en compensant partiellement les consommations de ressources fossiles et les productions de déchets propres aux activités du site.

Pour ce qui est du projet d’utilisation de la biomasse sur le plan énergétique, une étendue représentant près du tiers de l’espace boisé (soit 200 ha) devrait pouvoir subir des opérations sylvicoles adéquates permettant de livrer du bois destiné à la production de chaleur. Dans une dynamique de gestion durable, il serait prévu de ne valoriser qu’une partie de l’accroissement biologique potentiel, ce qui permettrait en même temps de favoriser le rajeunissement des peuplements forestiers et ainsi d’assurer, à terme, une séquestration plus élevée de carbone atmosphérique. « Des plantations relevant de taillis à courte rotation (TCR) pourraient aussi être envisagées à titre expérimental ; elles seraient destinées à accroître la biomasse végétale renouvelable et contribueraient également à diminuer la dépendance aux énergies fossiles. Ce projet doit évidemment s’inscrire dans une analyse objective et une approche résolument multifonctionnelle des orientations données à la composante boisée et “verte” du domaine lui-même », poursuit le Pr Rondeux. Une première tendance montre que, sur la zone qui pourrait être dédiée à une sylviculture plus orientée vers la production de bois, 500 m³ pourraient être récoltés (le tiers de l’accroissement annuel des 200 ha), soit l’équivalent d’une quantité annuelle de plus ou moins 100 000 litres de pétrole. De quoi chauffer, par exemple, le home du Sart-Tilman ou la ferme expérimentale.

La forêt serait-elle de plus en plus appelée à remplir, d’une façon équilibrée, un maximum de fonctions et à offrir une large diversité de biens et de services ? Le domaine universitaire pourrait ainsi devenir la vitrine de cet ambitieux objectif où gestion participative et gestion adaptative viseraient à améliorer la résilience de l’espace boisé.

Fabrice Terlonge

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