Pratique largement acceptée culturellement et socialement, la consommation d’alcool n’a en principe pas de quoi susciter de regard stigmatisant. Bien au contraire, et tant que celle-ci n’est pas reconnue comme pathologique, elle peut même être motif de valorisation auprès de ses pairs. Simple moteur de sociabilité ou puissant lubrifiant social, l’alcool n’en demeure pas moins une drogue qui expose son consommateur à une série de risques. C’est pour attirer l’attention des jeunes sur ces pièges que le service “qualité de vie des étudiants” organise le mardi 22 mars une journée de sensibilisation à la consommation responsable d’alcool et de drogues : la Saint-QV.
En milieu estudiantin, les occasions de s’enivrer sont diverses et nombreuses. Dans certains cas, la consommation d’alcool est même encouragée et intimement liée aux rites de passage permettant l’adhésion de l’initié. Doit-on y voir une porte d’entrée vers des phénomènes de dépendance ? « La dépendance ne concerne qu’une infime partie des étudiants, tempère d’emblée le Dr Emmanuel Pinto, psychiatre à l’unité d’alcoologie de l’hôpital Agora et chargé de cours à la faculté de Médecine de l’ULg. Il existe surtout des pratiques à risques, lesquelles s’expliquent notamment par la pression sociale ou la volonté de se conformer aux pratiques de tel ou tel groupe. » Et ce n’est pas tant la fréquence de consommation que la quantité ingurgitée qui pose problème.
« L’alcoolisation massive*, qui concerne autant les garçons que les filles, peut avoir des effets immédiats sur l’individu : comas éthyliques, accidents corporels (bagarres, accidents de circulation), pratiques sexuelles non protégées voire non consenties. Par ailleurs, associée à une boisson énergisante, la consommation massive d’alcool peut, chez certains, entraîner des conséquences psychiatriques tout aussi immédiates : des phénomènes délirants aigus, des troubles du comportement. C’est assez rare, mais cela arrive. » A moyen terme, chez le sujet jeune, des dysfonctionnements sont susceptibles d’apparaître au niveau des fonctions cognitives (neuropsychologiques), principalement des problèmes de concentration et de mémoire consécutifs à l’impact provoqué par l’alcool sur le cerveau toujours en maturation.
La dépendance, elle, se situe à un tout autre niveau. « Au cœur de la dépendance, on retrouve la notion de perte de contrôle, poursuit le Dr Pinto. La personne ne parvient plus à maîtriser la manière dont elle consomme. Elle passe de plus en plus de temps à penser à l’alcool; elle a besoin d’une quantité toujours plus importante pour en ressentir les effets. Puis, il y a l’apparition d’un phénomène de sevrage physique, à l’arrêt brutal de la consommation. » Tous ces critères ne doivent pas forcément être réunis pour pouvoir parler de dépendance.
L’ambiguïté du rapport à l’alcool est un autre point souligné par le psychiatre : « L’alcool est partout, on en parle partout. Mais, paradoxalement, à partir du moment où quelqu’un commence à réellement être alcoolo-dépendant, il devient bien souvent infréquentable. » La facilité d’accès à cette drogue est tout aussi ambiguë car « contrairement au cannabis, à l’héroïne ou à la cocaïne, la consommation d’alcool n’implique pas l’entrée dans un système illicite».
Pour les associations étudiantes, cette facilité d’accès est d’autant plus nette qu’elles sont directement sponsorisées par les producteurs d’alcool, lesquels leur accordent des prix préférentiels. Paradoxe ultime : ces producteurs subventionnent certaines campagnes de prévention – les brasseurs ont, par exemple, imaginé et subventionné la campagne “Bob” –, se confectionnant ainsi au passage une étiquette “responsable”. Ils distillent aussi des messages “éducatifs” (très) discrètement apposés au bas des affiches de pubs, censés freiner le consommateur dans son élan.
Michaël Oliveira Magalhães
* Au-delà des seuils de cinq verres pour une femme et six pour un homme, consommés en une seule occasion, on parle d’alcoolisation massive (ou binge drinking).
Journée de sensibilisationAu programme de cette journée, pêle-mêle : un atelier sur les drogues organisé par Les Espaces botaniques ; une table ronde réunissant, entre autres, étudiants et associations étudiantes autour du thème de la consommation responsable d’alcool en milieu estudiantin ; une conférence-débat autour du cannabis, animée par des membres de la cellule drogues de l’ULg ; une kyrielle d’animations allant du parcours alcovision au simulateur de conduite. |