Avril 2011 /203
Avril 2011 /203

Egypte

Dans le contexte actuel des bouleversements en Egypte, deux chercheurs de l’ULg nous livrent leur point de vue.
La première, Barbara Russo,  égyptologue, chercheuse en post-doc au sein du département des sciences historiques – archéologie égyptienne – aborde la situation du patrimoine,
et le second, François Thoreau, aspirant au FRS-FNRS au département de science politique, évoque le rôle joué par les médias sociaux.


RussoBarbaraLe 15e jour du mois : Selon vous, quels ont été les moteurs de la révolution en Egypte ?

Barbara Russo : Je voudrais d’abord préciser que j’étais au Caire quand les événements ont éclaté et que mon époux travaille dans l’administration du Patrimoine égyptien. Selon moi, la révolution était dirigée contre la dictature d’un homme et motivée par une situation économique difficile. La population souffre de la crise : la moindre fluctuation de prix est directement dommageable. Or, la hausse des prix des denrées alimentaires de base s’est très vite fait sentir et les familles n’arrivent plus à “nouer les deux bouts”. Cette situation n’est pas propre à l’Egypte. On remarque d’ailleurs, d’un point de vue historique, une évidente corrélation entre le prix des denrées alimentaires de base et les révolutions. Quand une population n’a plus rien à perdre, elle n’a plus peur des balles. D’autant plus que, même si l’Egypte est dotée de grandes richesses, la majorité de la population vit avec moins de 10 euros par mois et les inégalités sont très importantes. Cette situation est hélas très courante dans les pays arabes.

La révolution égyptienne peut, heureusement, être considérée comme un modèle du genre car elle s’est déroulée rapidement et de manière pacifique. Si le mouvement a été lancé par l’intelligentsia du Caire – de jeunes universitaires nantis ont pris part à la révolte alors qu’ils avaient tout à y perdre –, la population a réussi, quant à elle, à s’opposer à un gouvernement très fort avec une attitude“ à la Gandhi”.

Le 15e jour : Le patrimoine historique égyptien 
subit-il les conséquences de la révolution ?

B. R. : La police secrète de l’ancien président a fort heureusement disparu mais cela a créé, il est vrai, un réel chaos. Un grand nombre de sites archéologiques ont été pillés et vandalisés. Au musée du Caire, 54 objets du patrimoine auraient été dérobés. On dénonce également des pillages dans une nécropole royale au sud-ouest du Caire, sur le site de Saqqarah. En fait, certains Egyptiens croient encore que l’on peut trouver de l’or dans les murs des monuments. Des habitants sont venus démonter des murs couverts de bas-reliefs. Ils les ont déplacés et ont percé des trous dans les vestiges sous les yeux de l’armée, qui n’a pu les en empêcher. Le site de Guiza (les célèbres pyramides) et d’autres dans la vallée du Nil et dans le Delta seraient aussi concernés par les pillages. Mais il faut rester prudent et vérifier toutes les informations qui nous parviennent, car certaines personnes ont parfois intérêt à faire croire aux déprédations pour masquer des disparitions suspectes.

Une nouvelle police des Antiquités a été mise en place récemment, mais elle n’a pas encore eu le temps de régler les nombreux problèmes. A ce jour, aucun inventaire n’a pu être réalisé correctement. Il va certainement falloir du temps avant de pouvoir mesurer l’étendue réelle des dégâts et avant que l’Egypte ne puisse restaurer son patrimoine.

ThoreauFrancoisLe 15e jour du mois : Quel a été le rôle des réseaux sociaux dans la révolution égyptienne ?

François Thoreau : Pour l’instant, les médias ont tendance à véhiculer l’idée que les réseaux sociaux ont créé la révolution dans le monde arabe. Ce n’est pas vrai. Ils ont eu un impact, c’est indéniable, mais ils ne sont pas à l’origine de la contestation.

En effet, ils ont servi de substitut à des modes de communication plus traditionnels comme les journaux. Cependant, ces réseaux ont une spécificité à ne pas négliger : ils ont la capacité d’enclencher des “buzz”. Cela signifie qu’ils permettent le rassemblement très rapide d’un grand nombre de personnes autour d’un sujet particulier. Mais le phénomène peut disparaitre aussi vite qu’il est apparu. C’est pourquoi, s’il n’y a pas de (ré)action immédiate, le “buzz” n’aura servi à rien. En effet, une révolution de terrain contraste drastiquement avec la facilité de contester virtuellement. Prenons l’exemple de la Belgique : plus de 150 000 personnes font virtuellement du camping devant le 16, rue de la Loi, mais aucun ne descend réellement dans la rue. Tandis qu’en Egypte, la population a bravé les forces de l’ordre et pris de réels risques, certains au péril de leur vie.

Sur base de ces éléments, je considère le rôle des réseaux sociaux comme celui d’un catalyseur. Cette substance provoque l’accélération d’une réaction chimique sans modifier le sens de son évolution, ni sa composition. Cette métaphore permet de comprendre que les applications telles que Facebook précipitent le processus social mais ne modifie en rien les composants essentiels responsables de la révolution. Ils n’ont donc qu’une importance relative.

Le 15e jour : Si les réseaux sociaux ne sont pas responsables de la contestation, quels en sont les moteurs, à votre avis ?

F.T. : En m’inspirant d’Emmanuel Todd – démographe, historien et politologue français –, je voudrais souligner le poids de deux facteurs qui pourraient être responsables des révolutions dans le monde arabe.

Premièrement, le facteur démographique. Prenons le cas de l’Egypte : il existe un gouffre générationnel entre le régime vieillissant de l’ancien président Moubarak et une population très jeune. En effet, un boom démographique a eu lieu au cours de ces 60 dernières années. La population a augmenté de 21 millions d’habitants depuis 1950 : 1/3 de la population a moins de 15 ans et 70 % moins de 30 ! Ensuite, la population égyptienne bénéficie d’un niveau d’instruction relativement élevé, quoique significativement moindre qu’en Tunisie. Selon l’Unicef, l’Egypte connaît un taux d’alphabétisation des adultes de 66 % et une fréquentation des écoles primaires qui atteint 94 % de la population.

La majorité de la population égyptienne est donc jeune et alphabétisée. Mais le chômage, dû à la croissance démographique trop rapide, et le manque d’accès aux ressources élémentaires restent un fléau social majeur. Le contraste est énorme entre la manière de vivre en Egypte et le niveau d’éducation de la population, ce qui est générateur d’électrochocs sociaux.

Ce sont ces phénomènes qui sont responsables de la contestation. Les réseaux sociaux n’ont sans doute servi qu’à la cristalliser, voire à mettre le feu aux poudres.

Voir à ce sujet le reportage sur : http://webtv.ulg.ac.be/fthoreau

Propos recueillis par Marie Flaba

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