Le problème est connu de longue date. Et d’ailleurs épinglé par l’OCDE qui, en 2007, rappelait que les taux de réussite dans l’enseignement supérieur scientifique étaient “beaucoup moins favorables pour les femmes que pour les hommes (30 % contre 70 %) et que cette inégalité est encore plus accentuée en Belgique”. Ce n’est pas, pour ne citer qu’elle, la faculté des Sciences appliquées de l’ULg qui en disconviendra, elle qui a vu ses effectifs féminins de première année – entre les rentrées 2005 et 2010 – osciller entre 25% et 30% de la population totale. En plus d’être alarmant, ce déséquilibre est aussi déconcertant dans la mesure où, au sein de la population lycéenne de 15 ans, les filles obtiennent en moyenne des résultats comparables à ceux des garçons et cultivent un sentiment favorable à l’égard des disciplines scientifiques.
Parmi d’autres, la question de savoir ce qui, pour le coup, engendre au supérieur une telle disparité de genre en l’espace de quelques années, est abordée par Christelle Goffin, Valérie Quittre et Dominique Lafontaine dans un ouvrage collectif qui vient de paraître sous la direction de Claire Gavray (ULg) et Alexandra Adriaenssens : Une fille = un garçon ? Identifier les inégalités de genre à l’école pour mieux les combattre1.
S’appuyant à la fois sur les données Pisa 2006 et des entretiens réalisés avec une quarantaine d’élèves du second degré de l’enseignement secondaire général et technique de transition – lesquels sont les plus susceptibles de poursuivre des études supérieures scientifiques –, les chercheuses dressent un état des lieux interpellant. S’il apparaît ainsi que les lycéennes sont en moyenne moins souvent inscrites dans les options scientifiques, même avec de très bons résultats, et ont développé à l’égard des sciences des attitudes moins favorables que les garçons, elles aspirent toutefois, autant que ceux-ci, à des métiers à caractère scientifique. Pas de quoi crier victoire, tempère pourtant Christelle Goffin : « Quand bien même leur goût pour les professions scientifiques ne semble pas encore altéré à cet âge, les filles sont malheureusement rattrapées par un ensemble de stéréotypes et de représentations qui, bientôt, les amèneront à s’auto-censurer, convaincues par exemple qu’elles ne sont pas “faites pour les sciences” ». Des stéréotypes sexués sont à l’œuvre – « Les filles sont plutôt faites pour le social » ou « Une carrière scientifique n’est pas compatible avec une vie familiale » – mais pas seulement : le chercheur est ainsi souvent assimilé à un laborantin isolé et mal rémunéré.
L’intérêt de cette recherche tient aussi en ce qu’elle pose la question de la part de responsabilité qui incombe aux enseignants dans le renforcement de ces idées reçues. « La difficulté des études scientifiques ainsi qu’une supposée ténacité des garçons semblent être véhiculées également par les professeurs. A rebours de la réalité empirique, puisque le taux de réussite en sciences est plus élevé que celui de sciences humaines et que les filles réussissent en moyenne mieux que les garçons, même en sciences », relèvent les chercheuses, en notant que la confiance des filles en leur capacité à réussir dans une filière scientifique s’en trouve alors rapidement sapée.
L’ouvrage en appelle donc à la vigilance. « La hiérarchisation entre masculin et féminin a toujours cours et entraîne des conséquences souvent négatives, souligne Claire Gavray, sociologue et membre du FER ULg. La démonstration de cette réalité, auprès des jeunes et de leurs enseignants, est d’autant plus urgente qu’on remarque une tendance actuelle à renaturaliser les différences sexuées observées plutôt qu’à comprendre en quoi elles sont construites socialement et idéologiquement. L’économie et le commerce jouent également sur cette vague. Un dictionnaire pour les jeunes filles ou des Kinder Bueno filles ont récemment vu le jour. L’histoire se répète : l’objet de référence reste masculin et le féminin une sous-catégorie. Les intégrismes et le capitalisme le plus dur cherchent à jouer de ces différences – qui sont moins une différenciation qu’une hiérarchie. »
Depuis 2008, l’ULg veille à promouvoir ses cursus scientifiques en mettant davantage en avant les étudiantes et les chercheuses. « L’effort est essentiellement visuel, souligne Pierre Colpin, attaché au service promotion et information sur les études. Brochures, flyers, publicités dans la presse, renforcement de la présence féminine dans les séances d’information : tout cela est soigneusement réfléchi afin d’aller à l’encontre de l’image stéréotypée des études. » En outre, à travers différentes activités, le FER ULg cherche à sensibiliser les étudiants, les chercheurs, les gestionnaires et la population à la nécessité de prendre en compte la question des rapports sociaux de sexe. Ceux-ci interviennent à tous les niveaux, jusque dans la construction des connaissances scientifiques.
Patrick Camal
Photo : ULg - Michel Houet 2011
1.
Claire Gavray et Alexandra Adriaenssens (dir), Une fille = un garçon ? Identifier les inégalités de genre à l’école pour mieux les combattre, L’Harmattan, coll. Compétences interculturelles, Paris, 2011.