Maîtriser la colère, la jalousie ou la tristesse n’est pas toujours chose aisée. Certains s’emportent sous le coup de l’émotion, d’autres se laissent submerger par elle… au point d’en perdre leur latin. Heureusement, des formations particulières permettent d’améliorer de façon significative la régulation de ces émotions, même à l’âge adulte. « A niveau intellectuel égal, certains individus sont capables de réguler leurs émotions, ce qui améliore leurs performances cognitives, décrypte le Pr Michel Hansenne, du département des sciences cognitives. Dans les années 1990, on s’est demandé si l’intelligence était réellement un indicateur de la réussite professionnelle et de la performance académique. Plusieurs travaux l’ont affirmé, mais ont également souligné le rôle d’une série de variables affectives et émotionnelles ; c’est ainsi qu’est né le concept d’intelligence émotionnelle. »
Menées conjointement avec l’UCL, les recherches de Michel Hansenne et Delphine Nélis, l’une des quatre auteurs de l’ouvrage Les Compétences émotionnelles1, partent d’un constat : certaines personnes éprouvent des difficultés à identifier ce qu’elles ressentent et, donc, à l’exprimer ; d’autres ne parviennent pas à gérer leurs émotions, lesquelles les submergent et les empêchent de mener une vie conjugale, sociale et professionnelle saine. Les compétences émotionnelles jouent donc un rôle essentiel dans la santé mentale et physique et, au niveau des performances, sur le plan professionnel. D’où la nécessité de les apprivoiser.
Trouver d’autres formes d’interprétation et éviter les stratégies négatives telles que la rumination du problème, voire le recours aux drogues, paraît capital. C’est l’objet de la formation. « Nous avons mis sur pied un programme de recherches qui permet de déterminer si des formations à la gestion des émotions pouvaient ou non aider les individus concernés », explique le
Pr Hansenne. Le modèle théorique prévoit quatre compétences émotionnelles : l’identification des émotions chez soi-même et chez les autres, la compréhension de celles-ci, leur utilisation pour faciliter la pensée (afin d’augmenter l’efficacité de certaines décisions) et la régulation émotionnelle.
La formation mise en place proposait des sessions de plusieurs heures dévolues aux quatre parties de l’intelligence émotionnelle, un concept développé par les psychologues américains John Mayer et Peter Salovey, sous la forme de jeux de rôle. Une vingtaine d’étudiants s’étaient portés volontaires. Dans un premier temps, on demandait à l’un d’entre eux de rapporter un événement négatif, ensuite le groupe devait réfléchir à la manière de le réguler et de retrouver une humeur plus positive. « Tout l’enjeu a été d’expliquer comment voir la situation sous un autre angle et corriger certaines pensées en prenant du recul », explique Michel Hansenne.
Les résultats, publiés dans les revues scientifiques Personality and Indivudal Differences2 et Journal of Applied Psychology3, prouvent que les mesures d’intelligence émotionnelle des participants ont augmenté après la formation. Quant aux groupes contrôles, les mesures restaient inchangées et – preuve que le modèle fonctionne – les compétences émotionnelles acquises chez les volontaires étaient toujours visibles six mois plus tard. « Lorsque ces stratégies sont employées fréquemment, elles deviennent automatiques, explique Michel Hansenne. Chasser systématiquement une pensée irrationnelle par une pensée rationnelle supprime les interférences négatives. »
Plus besoin d’une longue thérapie pour développer son intelligence émotionnelle. Même après 20 ans !
Sébastien Varveris
1 Moïra Mikolajczak, Jordi Quoidbach, Ilios Kotsou, Delphine Nélis, Les Compétences émotionnelles, Dunod, coll. Psycho Sup, Paris, 2009.
2 Delphine Nélis, Jordi Quoidbach, Moïra Mikolajczak, Michel Hansenne (2009), “Increasing emotional intelligence: (How) is it possible”, Personality and Individual Differences, 47, 36-41.
3 Illios Kotsou, Delphine Nélis, Jacques Grégoire, Moïra Mikolajczak (2011), “Emotional plasticity: Conditions and effects of improving emotional competence in adulthood”, Journal of Applied Psychology, March 28.