Si un mouvement ou un objet très saillant – peut-être menaçant – entre dans notre champ visuel, notre système visuel peut le repérer, automatiquement. Mais jusqu’à quel point ? Pour le découvrir, Christel Devue, psychologue en post-doc à Amsterdam, ajoute de petites araignées à ses expériences…
Un grand nombre de recherches sur l’attention sélective confirment que notre système visuel peut repérer automatiquement des discordances dans l’environnement. « Selon certains chercheurs, nous serions également capables de détecter des stimuli plus complexes de façon automatique, à partir du moment où ils représentent un danger potentiel », explique Christel Devue, docteur en psychologie et sciences de l’éducation. Cependant, malgré l’existence de théories en ce sens, il n’existe aucune preuve formelle montrant que le caractère menaçant d’un objet ou d’un animal (ou la peur ressentie) permette à notre attention d’être capturée de façon automatique.
Pour en savoir davantage, Christel Devue s’est lancée dans deux expériences en se demandant si le processus de sélection attentionnelle pouvait être affecté par nos émotions et, en particulier, par la peur. Afin de le découvrir, elle a suivi un fil : celui des araignées, qu’elle a glissées dans les tests présentés à des volontaires, tous étudiants à l’ULg. Parmi eux, certains redoutaient les araignées ! L’arachnophobie est, en effet, très fréquente dans nos contrées…
Christel Devue a d’abord enrôlé deux groupes de 24 étudiants, dont un composé de personnes arachnophobiques pour passer une série de tests en laboratoire, inspirés de celui du Pr Jan Theeuwes (université libre d’Amsterdam). Sur écran : une série de sept objets de même couleur. Six ont la même forme, celle d’un diamant; le septième, seul, est circulaire. Détecter la cible – en l’occurrence le cercle – est la tâche à effectuer, en indiquant si une petite barre contenue dans celui-ci est orientée de manière horizontale ou verticale. A chaque fois, le temps de réaction est mesuré. Sans avoir été annoncées, des silhouettes d’araignées ou de papillons sont soudain apparues au cours du test, dans un ordre aléatoire…
Résultats ? Dans les deux groupes, tout objet “intrus” a attiré l’attention et a ralenti le temps de réaction. « De manière assez surprenante, précise Christel Devue, dans le groupe des “craintifs”, le papillon a provoqué une distraction comparable à celle de l’araignée. » Une deuxième expérimentation a alors eu lieu, sur deux autres groupes d’étudiants, redoutant ou non, les araignées. Cette fois-ci, les objets incongrus (araignée, papillon ou feuille d’arbre) apparaissent dans un ordre défini par les chercheurs de façon à ce que chaque participant, aux différents moments du test, déduise à quel élément s’attendre.
Pour tous les volontaires, lorsqu’un stimulus saillant (l’araignée, le papillon ou la feuille) apparaissait à l’écran, l’effet de capture attentionnelle était manifeste et le temps de réaction à la tâche de recherche de la cible augmentait. Les réactions étaient similaires lorsqu’il s’agissait de la feuille ou du papillon. En revanche, avec les araignées, les personnes craintives étaient beaucoup plus distraites et l’on relevait près de cinq fois plus d’interférences que dans la première expérience.
« Au final, ces deux expériences montrent qu’en matière d’attention envers des stimuli complexes, ce sont les attentes créées par les circonstances et la peur qui sont déterminantes, plutôt que ce que l’on montre », détaille Christel Devue. Un résultat qui diffère donc des hypothèses émises par de nombreux chercheurs dans la littérature.
Lors du premier test, le côté imprévisible de l’apparition d’une araignée a fait naître un environnement incertain pour la personne arachnophobique. Elle a alors porté attention à tout stimulus non pertinent susceptible d’être une araignée et a exploré constamment l’environnement à la recherche de menaces potentielles. En revanche, dans la seconde expérience, connaissant l’arrivée probable de l’objet redouté, son hypervigilance s’est limitée aux conditions vraiment menaçantes à ses yeux.
Les attentes, la façon dont on perçoit les choses et l’émotion qui en découle, comme la peur par exemple, semblent donc avoir une influence importante sur l’attention sélective. Outre leur aspect novateur, ces conclusions devraient ouvrir de nouvelles pistes sur les thérapies actuellement proposées aux personnes phobiques et, en particulier, pour les traitements fondés sur “l’entraînement attentionnel”.
Pascale Gruber
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