Mai 2011 /204
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La Chine rurale en photos et en mots

AutreChine-32L’Institut Confucius de l’ULg organise jusqu’au 23 juillet, à l’Embarcadère du savoir, l’exposition Une autre Chine. Photographies de la Chine rurale par Eric Dessert. Elle sera agrémentée d’une conférence, le mercredi 8 juin, où le chercheur au Centre d’études de l’ethnicité et des migrations de l’ULg (Cedem), Eric Florence, s’interrogera sur la façon dont les travailleurs migrants racontent et perçoivent leur expérience de vie et de labeur.

Grand écart

Très loin des mégalopoles fourmillantes, la Chine qu’Eric Dessert nous donne à voir est autre. C’est celle de ce monde paysan qu’il affectionne particulièrement, celle du Sichuan, du Xinjiang, du Guizhou et du Gansu qu’il a parcouru entre 2002 et 2009, sa chambre photographique sur l’épaule en guise de baluchon. En Chine, comme le rappelle Eric Florence, codirecteur de l’Institut Confucius de Liège et instigateur de l’exposition, environ 60 % de la population vit dans les campagnes. Les conditions de vie de ces paysans, leur perception dans la société chinoise sont loin d’être idéales.

« Pour bien comprendre la Chine rurale d’aujourd’hui, il faut l’appréhender d’un point de vue historique, poursuit le chercheur. Lorsqu’en 1949 le Parti communiste arrive au pouvoir – grâce à une mobilisation paysanne quelque peu contrainte –, il impose pour asseoir sa légitimité un renversement de la hiérarchie sociale. Le discours sur les classes opprimées et paysannes du pouvoir crée l’espoir au sein de la Chine rurale et suscite certaines attentes mais qui seront assez vite déçues. Paradoxalement, si à l’époque les paysans et leur mode de vie sont valorisés dans le chef de Mao, ils restent fondamentalement des subalternes. Il faut attendre que la Chine sorte du maoïsme, qu’elle autorise puis promeuve progressivement l’initiative individuelle pour retrouver un réel dynamisme, une mobilité sociale et géographique effective. Jusqu’en 1985, l’on constatera une amélioration spectaculaire du niveau de vie, une augmentation des revenus, une diversification de la production agricole. Mais par la suite, d’autres formes de domination s’installeront : la pressurisation fiscale, la marchandisation galopante des soins de santé et de l’éducation, ainsi que la corruption. Autant d’éléments qui contribuent à creuser les écarts entre paysans et citadins. Malgré cela, la pauvreté sévère a reculé dans la partie orientale et le centre de la Chine. Depuis les années 1990, on observe par ailleurs une multiplication des révoltes paysannes. Il existe néanmoins, depuis le début des années 2000, une prise de conscience sociale et politique forte de l’urgence de ces problèmes. Mais les rapports de pouvoir sont éminemment difficiles à faire bouger sur le plan local. »

Au-delà de l’exposition

Le décor est planté, mais la démarche d’Eric Dessert est ailleurs. Chez lui, pas de représentation idéale, objective, ni catastrophique ou militante non, rien de cela. Les 74 clichés en noir et blanc exposés à l’Embarcadère du savoir sont des images intemporelles, des photos douces-amères d’hommes, d’outils, d’habitats et de paysages, de véritables poèmes visuels que nous livre ici l’artiste. « Je veux témoigner de ce que j’aime, de ce à quoi je suis sensible, de la manière dont je m’y prends pour produire une image lisible, sachant que jamais je n’ai pu rapporter le moindre brin d’herbe des immenses plaines, le moindre petit caillou des montagnes, la moindre goutte d’eau des océans. La difficulté est de montrer, d’être et d’exprimer ce que nous faisons de nos mains d’homme. Cela seul m’intéresse dans la vie. »

L’autre temps fort de ces deux mois consacrés à la Chine rurale est la conférence organisée par Eric Florence le 8 juin, qui s’interrogera au travers de films, de chansons et de poèmes sur la manière dont les travailleurs migrants réinventent leur village natal, entre un milieu urbain souvent idéalisé et une expérience quotidienne faite de marginalisation et de précarité. « Les migrations des ruraux vers les villes chinoises concernent en effet aujourd’hui plus de 150 millions de personnes », précise le chercheur. La magie de l’exposition ne doit donc pas faire oublier les réalités, les problématiques et les enjeux sociaux des travailleurs ruraux chinois d’hier et d’aujourd’hui.

Martha Regueiro
Photo : Eric Dessert

Une autre Chine. Photographies de la Chine rurale
Exposition de photos d’Eric Dessert, jusqu’au 23 juillet à l’Embarcadère du savoir (Institut de zoologie).
Informations sur le site www.confucius.ulg.ac.be

Chansons, films, poèmes : comment les travailleurs ruraux du sud de la Chine racontent leur pays natal
Conférence par Eric Florence, le mercredi 8 juin à 19h,
salle des professeurs, place du 20-Août 7, 4000 Liège.
Contacts : réservation souhaitée pour le 3 juin, courriel confucius@ulg.ac.be

 

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