Mai 2011 /204
Brevet européen pour la lutte contre les pucerons
Outre son impact négatif sur la santé humaine, l’utilisation d’insecticides dans le but d’optimaliser le rendement des cultures conduit progressivement à la sélection d’individus ravageurs résistants dont l’éradication devient de plus en plus difficile. Une piste actuellement en plein essor est de se tourner vers la lutte biologique, notamment via l’utilisation d’“auxiliaires”, ces êtres vivants dont le mode de vie entraîne l’inhibition ou la destruction d’espèces nuisibles à l’agriculture ou à l’horticulture.
Attirés par l’odeur
Trois chercheurs à Gembloux Agro-Bio Tech-ULg ont déposé une demande de brevet européen pour un procédé original de lutte biologique contre les pucerons qui constituent un véritable fléau pour de nombreuses cultures. Fruit d’une collaboration croisée et complémentaire entre trois services universitaires*, leurs travaux s’inscrivent dans le cadre du projet Solaphid-Waléo II, financé par la Région wallonne. Leur proposition est d’utiliser une composition odorante afin d’attirer et de maintenir des auxiliaires, en l’occurrence des syrphes, dans des zones où sont localisés les pucerons afin d’en réguler les populations.
Pour répondre à ses besoins en acides aminés, le puceron doit prélever la sève des végétaux en grande quantité et doit rejeter continuellement le surplus de sucres ingérés par la même occasion. Ce rejet métabolique, que l’on nomme le miellat, attire des auxiliaires, le syrphe par exemple. « La présence de certains micro-organismes (bactéries) dans un milieu riche en sucres et acides aminés induit l’émission de certains composés volatils que l’auxiliaire va percevoir et associer à la présence de pucerons », explique Pascal Leroy du service d’entomologie fonctionnelle. En dégradant certaines molécules présentes dans le miellat du puceron, ces micro-organismes dégagent en fait des odeurs qui attirent le syrphe adulte. « Cette découverte, nous la devons au flair de Pascal Leroy, glisse le Dr Ahmed Sabri. C’est en effet lui qui a trouvé que l’odeur dégagée par ces bactéries était proche du miellat. Il a alors testé ces bactéries pour vérifier si elles attiraient bel et bien le syrphe. Et les essais se sont avérés concluants. »
Mais le rôle des molécules libérées ne se limite pas à attirer le syrphe adulte vers une zone où se trouvent des ravageurs. « Les molécules odorantes vont stimuler l’oviposition (ou la ponte) du syrphe. Or, l’objectif est précisément d’obtenir des œufs à un endroit donné puisque ce sont les larves issues de ces œufs qui vont se nourrir de pucerons », souligne Pascal Leroy. Particulièrement voraces, ces larves peuvent consommer jusqu’à 1200 pucerons, ce qui permet un “nettoyage” important des végétaux.
Le brevet, en cours d’examen par l’Office européen des brevets, sera bientôt confronté à la réalité du marché. Deux pistes d’exploitation sont d’ores et déjà proposées par les trois chercheurs. « Une voie serait de recourir à des molécules de synthèse pour recréer la composition qui attire les syrphes, précise Pascal Leroy. Une fois formulées, ces molécules seraient placées dans des diffuseurs à disposer dans les zones occupées par les ravageurs. » Une autre voie, plus “bio”, consisterait à laisser de côté les molécules de synthèse pour proposer « un miellat artificiel, autrement dit une copie de ce que rejette le puceron, en utilisant des bactéries comme producteurs de molécules odorantes à la fois attractives et inductrices de la ponte ». Procédé peu coûteux qui permettra de satisfaire la demande du marché quand celle-ci se fera importante.
Potentiel économique
C’est la filière gembloutoise de l’Interface-Entreprise – et plus particulièrement André Hecq – qui s’est chargée d’évaluer le potentiel économique de l’invention et de la promouvoir auprès des entreprises. Certaines d’entre elles, actives dans le domaine de la lutte biologique, se sont montrées déjà intéressées par la découverte.
Michaël Oliveira Magalhães
Photo : Raki Almohamad
* Pascal Leroy, doctorant au service d’entomologie fonctionnelle et évolutive du Pr Eric Haubruge à Gemblouw Agro-Bio Tech, Stéphanie Heuskin, doctorante au laboratoire de chimie analytique du Pr Georges Lognay à Gemblouw Agro-Bio Tech, et Ahmed Sabri, docteur au Centre wallon de biologie industrielle dirigé par le Pr Thonart à l’ULg.