Septembre 2011 /206
Septembre 2011 /206

Crise alimentaire en Afrique

Depuis plus d’un an, la famine sévit dans la Corne de l’Afrique : les populations de Djibouti, de Somalie, d’Ethiopie mais aussi du Kenya et d’Ouganda sont menacées.
L’ONU évoque une catastrophe humanitaire. Bakary Djaby, chercheur au département de sciences et gestion de l’environnement à Arlon, et Danièle Sondag, chargée de cours au département des sciences de la santé publique et administrateur général de la Croix-Rouge de Belgique, livrent ici leur point de vue.

DjabyBakaryLe 15e jour du mois : Les conditions climatiques expliquent-elles cette nouvelle famine en Afrique ?

Bakary Djaby : Pas entièrement. La crise alimentaire a commencé l’an dernier et perdurera certainement jusqu’en 2012. Il s’agit effectivement d’un problème endémique : souvenons-nous des famines de 1985 en Ethiopie, de 1992 en Somalie et de 2008 dans toute la Corne de l’Afrique. Il est vrai que les phénomènes météorologiques de cette partie du continent sont influencés par la Niña, un phénomène de refroidissement de la mer qui conduit à une nette diminution des pluies. Cependant, d’autres facteurs sont également responsables de la dégradation de la situation : la guerre civile dans laquelle s’enfonce la Somalie depuis près de 20 ans conduit à une insécurité permanente peu propice à l’élaboration d’une politique agricole réfléchie. Par ailleurs, alors que la sécheresse a eu comme conséquence une diminution de la production des céréales (blé, maïs, sorgho et tef) et une augmentation de la mortalité dans les troupeaux de chèvres et de bovins, on a assisté à une hausse drastique du prix des denrées alimentaires. Dans une région très peuplée (82 millions d’habitants en Ethiopie, 40 millions au Kenya), la conjonction de tous ces facteurs est dramatique.

Les habitants manquent d’eau, de céréales, de lait, de viande. La famine concerne déjà 12 millions de personnes, mais l’aide internationale est peu mobilisée pour l’instant. Et si, comme les prévisions l’annoncent, la situation perdure jusqu’à l’an prochain, on risque d’assister à  une des plus grandes catastrophes humanitaires depuis les années 1950.

Le 15e jour : L’aide d’urgence est-elle la seule solution ?

B.D. : Elle est indispensable, très rapidement, si l’on veut sauver des vies. Mais il faut impérativement élaborer une politique à long terme. La communauté internationale a mis en place un système mondial d’information d’alerte rapide qui examine la planète et empêche, par exemple, que des sécheresses dégénèrent grâce à l’envoi d’aide alimentaire d’urgence. Le département de sciences et gestion de l’environnement du campus d’Arlon participe à cet effort : nous avons développé un modèle pour la prévision des rendements des cultures en Afrique. Grâce à cela et aux autres centres d’information de part le monde, les agences internationales – FAO, PAM, Croix-Rouge – informées par les chercheurs, ont tiré très tôt la sonnette d’alarme.

Par ailleurs, la Belgique se trouve au cœur de ce système mondial d’information. Les centres de recherches belges fournissent l’essentiel des données d’observation de la Terre issues des satellites européens ainsi que des outils d’analyse nécessaires à un suivi – tous les dix jours – de la situation des cultures et des pâturages. Toutefois, en dépit de l’amélioration des prévisions et des systèmes d’alerte, leur utilisation par les décideurs pour agir à temps reste un problème.

Dans l’immédiat, en plus de l’aide alimentaire, il faut soutenir les petits agriculteurs dans la recapitalisation des moyens de production, c’est-à-dire en leur donnant des semences et de nouvelles têtes de bétail afin de relancer le processus de production alimentaire. A plus long terme, il faut apprendre aux cultivateurs à gérer les surplus alimentaires, et surtout à mieux gérer la fertilité des terres. Cela peut ressembler à un paradoxe mais les récoltes, certaines années, peuvent être excellentes ! Globalement, il faut inciter les hommes politiques en place à établir une politique agricole durable. Ne soyons pas naïfs : la paix dans cette région est évidemment une condition sine qua non à toute action pérenne.


SondagDanieleLe 15e jour du mois : La sécheresse est-elle responsable de cette nouvelle famine ?

Danièle Sondag : Pas uniquement. La Croix-Rouge, depuis 2006, mène des actions dans la Corne de l’Afrique dont les populations sont très fragilisées depuis plusieurs années. Non seulement à cause des guerres civiles, en Somalie notamment, mais encore parce les déplacements des personnes ont été restreints. Or ces peuples – les Masaï, les Turkana – sont essentiellement des pasteurs dont la seule richesse est le bétail. Ils doivent donc nourrir leurs bêtes, mais quand les frontières se ferment, leur subsistance est compromise. Cette politique a conduit à une véritable paupérisation des populations qui ont dû, en outre, faire face à une hausse vertigineuse du prix des céréales. Plus que la sécheresse, ce sont donc bien des facteurs humains qui sont à l’origine du drame actuel.

Depuis 2006, la Croix-Rouge mène des projets dans le sud de l’Ethiopie pour assurer la subsistance des éleveurs qui n’ont plus les moyens de vivre. Mais on ne transforme pas facilement un pasteur en cultivateur : beaucoup d’hommes refusent de modifier leur façon de vivre. Le succès de cette aide est donc mitigé pour l’instant.

Le 15e jour : Que fait la Croix-Rouge actuellement?

D.S. : La Croix-Rouge – et le Comité international de la Croix-Rouge – apporte une aide multiforme dans la Corne de l’Afrique. Aujourd’hui, pour faire face à l’urgence de la situation, elle distribue des vivres – céréales et haricots principalement – aux femmes et des mélanges spécifiques aux enfants auxquels il faut donner un complexe de re-nutrition. Mais la réalité sociale est complexe : les hommes refusent de s’alimenter autrement qu’avec le lait de leurs vaches. Il faut donc tenter d’apporter une alimentation adéquate en termes nutritifs et en termes culturels.

La Croix-Rouge a établi des points de contacts pour la distribution de vivres. Celle de Belgique a déjà envoyé 2000 tonnes en Ethiopie (soit 20% de la demande) où des collaborateurs sont présents sur le terrain. Cela représente de la nourriture pour 25 000 personnes, pendant quatre mois. L’objectif est de soutenir les populations jusqu’en décembre, en espérant que la saison des pluies qui débute en septembre permette une bonne récolte à la fin de l’année. Les livraisons se déroulent correctement jusqu’à présent, au prix il est vrai de la mise en place d’une très grosse logistique : les colis sont acheminés par avions et par bateaux et ensuite par camions.

Outre l’acheminement de produits alimentaires, la Croix-Rouge apporte aussi des biens de première nécessité et du matériel médical. L’approvisionnement en eau est également une préoccupation majeure. Des camions-citernes font face à l’urgence pour le moment, mais nous tentons également de réhabiliter des puits afin qu’ils soient opérationnels dès les prochaines pluies.

Tout cela nécessite des fonds bien sûr. Nous avons appris que le gouvernement allait consacrer 4 millions d’euros à ce grave problème. Il en faudrait davantage…

Propos recueillis par Patricia Janssens

Croix-Rouge : tél.02.371.32.13, site www.croix-rouge.be
Fonds d’urgence pour la Corne de l’Afrique : 000-0000016-16

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