Septembre 2011 /206
Septembre 2011 /206

En 40 ans, la population des pachydermes a diminué de moitié

Elephant01Philippe Bouché visitait un parc au Rwanda avec ses parents lorsqu’il vit une antilope bondir devant lui. Il avait 6 ans à l’époque. « A ce moment précis, se souvient-il, j’ai su que ma vie était là. » Il ne savait pas encore, alors, que cette faune sauvage qui le fascinait tant était menacée. Aujourd’hui, il ne le sait que trop, lui qui vient de passer 15 ans à organiser des recensements de populations d’éléphants dans la savane africaine. « C’est en comparant les données de ces recensements récents avec des données récoltées au début des années 1970 que j’ai pu mesurer l’hécatombe : en Afrique sub-saharienne, dans cette bande qui court du Sénégal jusqu’à la mer Rouge, il n’y a plus que 7500 éléphants au minimum aujourd’hui. Ils étaient sans doute au moins le double il y a 40 ans. » Une évaluation précise, qui correspond malheureusement à une tendance générale sur le continent africain, où il n’y aurait probablement plus aujourd’hui que 470 à 550 000 éléphants, alors qu’ils étaient plus d’1,3 million au début des années 1970.

Campagnes de recensement

La pratique du recensement de la faune sauvage s’est développée ces dernières décennies, à mesure que les menaces de disparition de certaines espèces se précisaient. Au titre de coordinateur régional du programme Monitoring the Illegal Killing of Elephant (Mike) pour l’Afrique de l’Ouest, notamment, Philippe Bouché* a supervisé des dizaines de campagnes de recensement. Le travail est réalisé soit par avion, soit à pied, selon les moyens disponibles et selon la taille du territoire à observer. « Un travail harassant mais passionnant, explique-t-il. Quand vous vous retrouvez à quelques mètres d’un éléphant sauvage, cela reste impressionnant, même quand vous avez l’habitude. »

Pour être scientifiquement solide, un recensement de la faune sauvage doit répondre à des règles strictes. Il faut sélectionner un échantillon de territoire, réaliser une observation systématique, dénombrer les éléphants, et ensuite extrapoler à l’ensemble de la zone étudiée. Une autre technique consiste à compter non pas les éléphants, mais les crottes d’éléphants… Si on connaît la quantité de déjections quotidiennes moyennes d’un pachyderme, ainsi que la vitesse de dégradation de ces déjections, on peut déduire le nombre d’éléphants.

Elephant02Le travail sur le terrain n’est pas sans danger. Un éléphant adulte qui charge, c’est 5 tonnes lancées à 40 km/heure. « Première précaution, poursuit Philippe Bouché, il faut toujours avancer contre le vent, pour éviter d’être repérés. Ensuite, il faut savoir reconnaître les signaux d’agressivité envoyés par l’animal. Une mère avec ses petits, qui fait face, agite les oreilles et se met à barrir indique très clairement qu’elle est agacée et qu’elle est peut-être sur le point de charger. Cela dit, en brousse, je redoute plus les braconniers que les éléphants. »

Le braconnage est une des deux principales causes de la disparition rapide des éléphants. Sur les marchés internationaux, l’ivoire se négocie autour de 100 euros le kilo lors de ventes officielles et peut atteindre 500 euros sur les marchés illégaux. A ce prix-là, un seul éléphant peut rapporter entre 5000 et 25 000 euros. Une source de revenu alléchante pour un tas d’anciens militaires égarés et de trafiquants, provenant d’une des nombreuses zones de conflit dans cette région du monde où l’on peut acheter une kalachnikov au coin de la brousse pour 30 ou 40 euros seulement.

La sécheresse en cause

La seconde cause de l’hécatombe est climatique et démographique. Depuis le début des années 1970, les sécheresses se multiplient en Afrique sub-saharienne. La pluviométrie a diminué de 10 %, le désert avance, repoussant vers le sud des populations d’éleveurs à la recherche de points d’eau, tout comme les agriculteurs, qui rognent de plus en plus sur l’espace vital des animaux sauvages. D’autant qu’à ces mouvements de populations provoqués par un changement climatique s’ajoute une énorme pression démographique : depuis 60 ans, la population a été multipliée par quatre. L’agriculture est donc un enjeu vital dans cette contrée du monde où les famines sont endémiques. C’est là toute la difficulté des programmes de préservation de la faune africaine : faire accepter aux populations locales, dans une économie de subsistance, de cohabiter avec des prédateurs qui dévorent leur bétail ou avec des éléphants qui piétinent leur culture. La voie est étroite et l’issue souvent incertaine.

Clément Violet
Photos : Anne Poncelet

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Terre/zoologie)


* Aujourd’hui chercheur à l’unité de gestion des ressources forestières et des milieux naturels de Gembloux Agro-Bio Tech, sous la direction du Pr Philippe Lejeune et de Cédric Vermeulen. Il a publié ses résultats dans la revue PLosOne.

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