Septembre 2011 /206
Septembre 2011 /206
TypeArt

La piel que habito

Un film de Pedro Almodóvar, Espagne, 2011, 2h.
Avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Corne.
A voir aux cinémas Le Parc, Churchill et Sauvenière

Sorti il y a quelques mois, Black Swan d’Aronofsky s’attaquait au corps féminin, lésant cruellement la moindre parcelle de peau et interrogeant, par les codes du conte, le problème de la métamorphose en art. Comme s’il prenait cette métamorphose à la lettre, le nouveau film d’Almodóvar pousse l’expérience à l’extrême, devenant le laboratoire même de l’imagerie, le lieu où la chirurgie esthétique est littéralement un geste pictural.

Entre un Titien et un Dalí, le docteur Ledgard (Antonio Banderas) est un artisan de la peau, monteur de pellicules corporelles et expérimentateur de formules biologiques qui résistent à toute forme de consumation. Son œuvre : un corps féminin (Elena Anaya), frankesteinien mais lisse, idéel et idéal, enfermé dans une pièce sous vidéosurveillance. La piel que habito (“La peau que j’habite”) rejoue alors le processus de création artistique, remontant à ce qui peut faire le point de départ même des beaux-arts : le nu en tant que “forme pure” ou, plus exactement, en tant que “pure forme”. Ledgard, une fois rentré chez lui, allume son écran géant et admire les pixels d’une peau exempte de pores : voici l’installation d’un tableau contemporain, où le sujet peint est littéralement prisonnier du cadre.

D’où vient ce corps ? C’est là la dimension “thriller” du film, peut-être un peu trop mise en avant dans les bandes-annonces. Mais l’essentiel est plus loin, et partage avec Black Swan une même frustration face à la perfection. Dans le film d’Aronofsky, le corps est avant tout mouvement, geste explosif, et doit se tracer indéfiniment, jusqu’à trouver sa trajectoire parfaite. Chez Almodóvar, le corps est surtout matière et couleur, pigmentation picturale et charnelle. Il s’agit pour le cinéaste/chirurgien de parfaire une forme, retournant contre elle-même la proposition analogique de l’art : ce n’est plus l’image qui copie le modèle, mais le modèle qui – grâce aux avancées scientifiques – copie l’image. Almodóvar mène ainsi à bout la logique du modèle, soulignant progressivement ses effets pervers.

Raconter le synopsis gâcherait les quelques surprises du film, qui sont d’autant plus singulières qu’elles sont terrifiantes. L’angoisse et la trame narrative qui le conduisent puisent d’ailleurs également dans les ingrédients mystérieux du conte traditionnel, puis les détournent et les violentent : tout a donc commencé dans un manoir privé de lumière, qui renferme une princesse Gorgone – on meurt quand on la regarde – et un miroir…

Abdelhamid Mahfoud

Si vous voulez remporter une des dix places (une par personne) mises en jeu par Le 15e jour du mois et l’asbl Les Grignoux, il vous suffit de téléphoner au 04.366.48.28, le mardi 20 septembre de 10 à 10h30, et de répondre à la question suivante : de quel roman est adapté La piel que habito ?

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