Octobre 2011 /207
Octobre 2011 /207

Comprendre, composer, construire l’architecture

HickClaudeLucieAujourd’hui, alors que les différentes écoles d’architecture du pays viennent de rejoindre les universités, la discipline architecturale pâtit sans doute d’une certaine difficulté à être perçue dans sa spécificité par le grand public. Très diversifiée, balayant d’amples latitudes, se combinant parfois selon une alchimie dont le mode d’emploi n’est pas univoque, elle repose toutefois sur des compétences spécifiques, constituées à partir de différentes ouvertures indispensables. L’architecte se prête à ces découvertes. Il les fond dans l’exercice de sa pratique.

Un architecte est un technicien ; c’est quelqu’un qui bâtit, construit, commande – au sens étymologique – aux ouvriers. Il observe, mesure, structure, dessine, trace et transforme le réel. Cette perspective “matérielle” constitue le noyau dur et saisissable du métier, la partie la plus visible de l’iceberg qui met en évidence sa rationalité d’architecte et légitime pleinement sa présence au sein du milieu universitaire, rompu aux techniques et aux méthodes scientifiques. Mais cette seule approche est réductrice : l’architecte est également un artiste attaché à la composition de l’espace. La pratique de son métier requiert de la créativité et de l’imagination, ce qui l’amène à puiser dans sa propre subjectivité d’être humain pour entrer en résonance avec de nombreux domaines du monde sensible. Toutes les sources d’inspiration essentielles de l’art, présentes dans la sculpture, la peinture, la littérature, la musique, le cinéma, la photographie, la danse, le théâtre, etc., participent de cette recherche de composition, de la proportion parfaite, de la beauté qui accompagne le geste architectural. C’est là le second noyau, cette fois plus “immatériel”, du métier, son apport poétique garant, selon l’expression bien connue, de “moments d’éternité dans l’éphémère du quotidien”.

Cette double compétence fondamentale du métier établit un perpétuel dialogue entre ce qui relève d’une part de l’objectivité et d’autre part de la subjectivité. Ainsi, pour l’architecte, la lumière est-elle à la fois ampérage, quantité, mesure mais aussi sensibilité, atmosphère, outil de composition, coloration. Elle peut encore renvoyer à la légende, au mythe, au symbole. La lumière appartient tantôt au mesurable, tantôt au sensible, tantôt à la tradition, et puis tantôt aux trois lorsqu’elle est encore considérée comme “chaleur”.

ArchitectureLe métier appelle ce double regard, cette double attention qui nécessite une réelle capacité pour articuler des domaines en tensions, en perpétuels mouvements ; c’est ce qui fait de l’architecte un jongleur qui doit à la fois générer et maîtriser l’action. Cette habilité et cette vigilance, enseignées durant toute la durée de la formation, sont, entre autres, exercées lors de l’atelier d’architecture où l’étudiant apprend à travailler et à travailler sur lui-même. Riche de l’acquisition de ces compétences techniques, de la mobilisation de toute une énergie créatrice et imaginative, ou encore de cette capacité à les placer dans une recherche de dialogue permanent, ce métier, appelé à être au service de l’homme, doit se mettre en phase avec différents contextes physiques.

“un perpétuel dialogue entre ce qui relève
d’une part de l’objectivité et d’autre part
de la subjectivité”

L’architecte exécute sa mission en réponse à un besoin formulé par un interlocuteur (c’est là un des aspects qui peut le différencier du sculpteur) évoluant dans tout un environnement social, économique et culturel. Il doit pouvoir approcher ce contexte, le saisir, le connaître, le comprendre. Prendre en compte une demande, une aspiration, un projet, un mode de vie est fondamental. Toute une perception sociologique et anthropologique est ainsi sollicitée pour dégager des contraintes précieuses et offrir à l’architecte tout un champ d’application précis à sa tâche. C’est là, en creux, que doit s’exprimer sa “bienveillance”, au sens d’une attitude d’ouverture qui consiste à veiller au bien d’autrui. C’est là toute la dimension humaine du métier qui consiste à proposer des projets où l’on “se sente bien”, au sens du care anglo-saxon.

Plus d’actualité encore, les rapports au milieu naturel, à l’environnement et à son devenir, au droit, à l’économie, à l’histoire vont entrer simultanément dans le questionnement et, tour à tour, établir des tensions, des dialogues, à la rencontre du processus des recherches combinatoires évoquées pour œuvrer à l’acte architectural de conciliation et de synthèse, le faire entrer dans la quatrième dimension, celle du temps. Comme l’écrivait Umberto Eco dans L’Œuvre ouverte, « Chaque être humain vit à l’intérieur d’un pattern culturel déterminé et interprète son expérience sur base des formes acquises ; la stabilité de cet univers culturel est essentielle pour que nous puissions nous déplacer raisonnablement parmi les provocations du milieu et organiser les événements ensemble. (Mais) parmi les quelques raisons que nous avons de croire supérieure la culture occidentale moderne, il y a précisément cette plasticité, cette aptitude à répondre au défi des circonstances en élaborant de nouveaux modèles ».

Claude-Lucie Hick
chef de travaux en faculté d’Architecture
Photo © Editions Espaces-Regards

Facebook Twitter