A partir du mois de décembre 2012, la SNCB supprimera 193 trains (170 trains intérieurs et 23 frontaliers). 2800 navetteurs pâtiraient de cette mesure,
mais l’entreprise espère économiser ainsi 13 millions d’euros. A l’heure où l’on plébiscite les transports en commun et les économies d’énergie, la décision peut surprendre.
Axel Gautier, chargé de cours à HEC-ULg, économie industrielle, et Jacques Teller, chargé de cours au département Argenco, urbanisme et aménagement du territoire,
donnent leur avis sur la question.
Le 15e jour du mois : Que pensez-vous de cette nouvelle ?
Axel Gautier : Quelle est la situation ? En 2010, la SNCB affiche des pertes de 215 millions d’euros : c’est colossal. La SNCB est, par ailleurs, une entreprise qui évolue dans un contexte particulier. Son activité voyageurs est encadrée par un contrat de gestion, signé avec l’Etat, contrat qui règlemente l’offre de services et les tarifs. L’entreprise ne peut pas augmenter les tarifs comme elle l’entend et la dotation versée par l’Etat pour les missions de service public (882 millions d’euros par an, soit plus que l’ensemble des recettes payées par les voyageurs) est fixe, et on voit mal l’Etat l’augmenter. La marge de manœuvre est dès lors réduite.
Réfléchir à une réduction de l’offre n’est, dans ce contexte-là, pas anormal. Les services publics sont organisés au bénéfice de la société, mais ces services ont un coût. Si le coût excède manifestement le bénéfice, la suppression du service peut se justifier économiquement. On peut penser par exemple aux trains pour lesquels les recettes ne couvrent même pas l’énergie de traction. Malheureusement, ce n’est pas la seule logique suivie par la SNCB qui cherche surtout à faire des économies.
Le 15e jour : Comment faire aimer le train ?
A.G. : Le transport des voyageurs est déficitaire, mais de très nombreuses personnes choisissent le train : si en 2005 la SNCB convoyait 187 millions de personnes, elles étaient 224 millions en 2010. On ne peut donc pas dire que les gens boudent le rail. L’attrait du service ferroviaire dépend des lignes opérées, de leur fréquence, de la ponctualité des trains et du prix. Dans le contexte actuel où l’on cherche à réduire les émissions de CO2 et à promouvoir les transports en commun, l’opportunité d’une réduction de l’offre peut être discutable. Le message délivré actuellement est très peu positif, voire contradictoire.
Ce qui est plus étonnant encore de la part de l’entreprise, c’est qu’elle ne cherche à faire des économies qu’en réduisant l’offre. Pourquoi ne pas améliorer aussi la productivité ? Ne faudrait-il pas repenser le fonctionnement interne ? S’interroger sur les coûts de fonctionnement, les frais généraux et les frais de consultance ? Perfectionner l’organisation du travail, des équipes, de la maintenance, etc. ? Les suppressions de trains – très impopulaires – ne suffiront pas nécessairement à sortir la SNCB du rouge ; d’autres mesures devront être prises pour bonifier la productivité de l’entreprise et ses résultats financiers. Je pense que l’entreprise devra prendre des mesures structurelles et leur mise en place nécessitera un soutien fort de l’actionnaire public.
Le 15e jour du mois : Que pensez-vous de cette nouvelle ?
Jacques Teller : Les trains que la SNCB supprime aujourd’hui sont très peu utilisés. Eu égard au nombre de voyageurs, ces trains produisent plus de CO2 que ne le ferait l’équivalent en voitures pour l’ensemble de leurs passagers ! Cette mesure n’est donc pas illogique, ni d’un point de vue économique bien entendu, ni même d’un point de vue environnemental. C’est bien la dimension sociale qui pose ici problème, en particulier pour des zones déjà défavorisées comme le Hainaut par exemple.
A la différence du Brabant wallon ou de la province de Luxembourg, le Hainaut a connu une très faible croissance démographique au cours des dernières années, une tendance qui devrait se maintenir d’ici 2040. Quant aux flux transfrontaliers, dans le Hainaut, ils concernent principalement des Français qui travaillent en Belgique, dans le secteur des soins de santé ainsi que dans des pôles d’activités économiques. Ces personnes, 15 000 environ, utilisent massivement la voiture, car leur lieu de travail n’est pas situé près d’une gare.
L’abandon des lignes peut s’expliquer par de tels facteurs, mais elle reste un mauvais signe adressé à l’opinion publique car, implicitement, cette réduction du nombre de trains encourage l’utilisation de la voiture… par ailleurs décriée. De plus, et c’est un autre motif de mécontentement, les suppressions ne sont pas suffisamment compensées par l’ouverture de nouvelles lignes ou le renforcement de lignes existantes. Or on voit qu’en Flandre, De Lijn remet des lignes en fonction, sous forme de “SnelTram”, comme celle de Maastricht-Hasselt par exemple.
Le 15e jour : Comment faire aimer le train ?
J.T. : Si tout le monde est convaincu de l’importance des transports en commun, encore faut-il assurer leur viabilité. Comment? En les rendant attractifs et en “redensifiant” les abords des gares. C’est une priorité de la Wallonie qui mène actuellement une grande réflexion sur l’aménagement du territoire : son “Schéma de développement de l’espace régional” est en cours de révision. La politique voulue désormais s’oppose à celle menée depuis 30 ans : il faut installer les pôles d’emplois et de nouveaux logements à proximité directe des gares et non plus au milieu des champs, loin des pôles urbains.
Autre objectif : amener des bus plus directs et des trams à la gare. Nous devons favoriser l’utilisation du train à tous ceux qui doivent faire plus de 20 km pour se rendre à leur travail, ce qui est très fréquent en Wallonie : petit à petit, le territoire est grignoté par des habitants qui travaillent à Bruxelles et à Luxembourg. Or les liaisons manquantes sont légion, dans l’est du Brabant wallon et dans la province de Luxembourg notamment.
Propos recueillis par Patricia Janssens