Décembre 2011 /209
Décembre 2011 /209

Pourrons-nous, en 2050, nourrir 9 milliards d’hommes sans dégrader l’environnement ?

HaubrugeEricIl y a environ 10 000 ans, l’agriculture, avec la domestication d’espèces végétales et animales, libéra progressivement les êtres humains de la dépendance vis-à-vis de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Mais au fil des millénaires, les extraordinaires développements des productions agricoles et de l’irrigation se sont accompagnés d’une nouvelle dépendance, cette fois-ci alimentaire.

Aujourd’hui, une personne sur six souffre de la faim ou de la malnutrition. Selon la FAO, on compte environ un 1,3 milliard de sous-alimentés dont 70% d’entre eux sont des paysans. Comme le signale Matthieu Calame dans son livre La tourmente alimentaire. Pour une politique agricole mondiale, “la peur de la famine est de retour…”

Pourrons-nous, en 2050, nourrir 9 milliards d’hommes sans dégrader l’environnement, sans transformer la Terre en désert ? Tous les rapports des grandes organisations internationales pointent du doigt notre modèle actuel d’agriculture intensive. Le modèle agricole des années 1960, qui a permis de négocier assez efficacement le passage de 3 à 6 milliards d’individus dans le monde, est maintenant obsolète1. Le problème auque nous sommes confrontés est que l’efficacité économique met gravement en cause les conditions de sa durabilité écologique.

Face à cette catastrophe écologique, il n’y a que deux solutions possibles : la décroissance ou l’agriculture durable. D’un point de vue purement écologique, la décroissance serait la solution la plus adéquate, voire même unique, mais elle présente quelques défauts : elle est économiquement destructrice, socialement délétère, ce qui la rend politiquement inenvisageable. Il nous reste donc la deuxième solution : une agriculture durable à la fois pour le consommateur et pour l’agriculteur, une “agriculture intégrée” à la fois productive et respectueuse de l’environnement et des hommes qui en vivent et qui la font vivre.

Pour répondre à ce défi de taille, dans beaucoup de régions, les autorités politiques compétentes ont fait le choix de se diriger vers une agriculture biologique et écologique afin de garantir la qualité des produits et de l’environnement. La non-utilisation de produits de synthèse comme les pesticides et les engrais, les rotations culturales, la lutte biologique, le recyclage des matières organiques mais aussi l’interaction avec le sol constituent autant d’arguments en faveur de l’agriculture biologique.

Mais lorsqu’on parle d’agriculture biologique, on a tendance à la diviniser et à l’adorer. J’entends régulièrement des débats baignant dans la nostalgie, la naïveté ou parfois l’obscurantisme, matraquant l’idée d’une “bonne nature” et d’une “mauvaise science” ! Mais comme le dit André Comte-Sponville2, “la nature n’est pas Dieu, la technique n’est pas le diable”.

Nous savons tous que l’agriculture biologique, à elle seule, ne pourra pas nourrir 9 milliards d’humains en 2050. Elle n’est pas la solution généralisable à l’échelle de toute la planète. Pour mieux respecter l’environnement, pour sauver la planète, nous avons besoin, non pas de moins de science mais de plus de science ; non pas de moins de techniques mais de davantage de techniques. Pour aller vers la voie d’une agriculture durable, l’agro-écologie mise en avant par Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, ne doit pas être le seul moteur du changement. Mais l’agro-écologie doit être impérativement associée à l’innovation grâce aux biotechnologies, nanotechnologies et technologies de la communication et de l’information.

Pour pouvoir relever ce défi, à l’image de ce qui se fait au Giga (Sart-Tilman) dans le domaine biomédical, un nouveau centre structurel de recherche de l’UL g verra progressivement le jour sur le site de Gembloux, dans le domaine des agro-ressources et de leur valorisation. Fin 2014 ou début 2015, ce centre comportera deux centres d’appui technologique, l’un sous forme d’un hall-pilote destiné à la transformation et la valorisation des agro-ressources et l’autre sous celle d’un écotron destiné à étudier avec précision les interactions entre la plante cultivée et son environnement.

L’agro-foresterie sera une de nos priorités en matière de recherche. Nous utiliserons les 45 ha de terres cultivées, à proximité de ces deux futurs centres d’appui technologique, pour associer aux grandes cultures traditionnelles de nouvelles plantes cultivées à haut potentiel de valorisation et des espèces ligneuses. Nous aborderons l’innovation et la créativité, sous différentes facettes : l’augmentation de la biodiversité, la réduction des intrants, la fertilisation du sol, la valorisation des agro-ressources et de leurs résidus, l’interaction entre les animaux d’élevage, les plantes cultivées et leurs résidus, et enfin la rentabilité de ce nouveau système de production en région wallonne.

En tant qu’entité universitaire, nous devons être solidaires du monde agricole et consacrer des moyens, certes faibles, pour tenter de dessiner un horizon et indiquer un cap aux agriculteurs – sans pour autant le fixer – en ce qui concerne de nouveaux systèmes de production à la fois respectueux de l’environnement et rentable. Pour répondre à ce défi planétaire, pour nourrir l’ensemble de l’humanité en 2050, l’agriculture sera scientifique, l’agriculture sera moderne, l’agriculture sera technique.

Eric Haubruge
vice-recteur pour le site de Gembloux
Photo : J.-P. Gabriel

1 Anonyme, Agriculture at a crossroads : Evaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement, résumé analytique du rapport de synthèse de l’IAASTD. Johannesburg, Afrique du Sud, 2008.
2 André Comte-Sponville, La Nature n’est pas Dieu, in “Comment nourrir le monde ?”, J.F. Gleizes, éd. de l’Aube et Passion Céréales, 2011. Voir aussi Edgar Morin, La voie, pour l’avenir de l’humanité, éd. Arthème

Fayard, Paris, 2011.

Eric Haubbruge et plusieurs professeurs de Gembloux Agro-Bio Tech sont conseillers scientifiques de l’exposition “A table ! Du champ à l’assiette”.
Jusqu’au 3 juin 2012, à Tour et Taxis, avenue du Port, 86, 1000 Bruxelles

Contacts : tél. : 02.549.60.49, site www.expo-atable.be/fr

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