Professeur dans les départements d’arts et sciences de la communication et des sciences historiques, spécialiste du rock, Christophe Pirenne est aussi administrateur délégué de l’asbl Musique en Wallonie.
Musique en Wallonie est une firme de disques qui étonne : non seulement parce qu’elle se consacre exclusivement au patrimoine musical de Wallonie et de Bruxelles, mais parce qu’elle est en outre administrée par des musicologues. Créé en 1971 dans le sillage du Festival de Wallonie – au début de la régionalisation du pays –, le label se fixe comme objectif de défendre les compositeurs, interprètes et musiciens nés en régions wallonne et bruxelloise ou installés durablement dans ces contrées. Très vite, il diffuse des inédits de Lassus, Binchois, Ciconia, Fétis, Vieuxtemps, Hamal, Chaumont et de bien d’autres.
Avec le temps, la maison de disques a acquis une réputation d’excellence saluée par de nombreuses récompenses : le prix Jaumain de l’Académie royale de Belgique, le prix Caecilia, le grand prix du disque Charles Cros, l’Editor’s Choice de Gramophone, etc.
Christophe Pirenne s’est livré, à l’occasion des 40 ans de l’association, au jeu des questions-réponses.
Le 15e jour du mois : Musique en Wallonie, c’est un laboratoire pour les musicologues ?
Christophe Pirenne : Mutatis mutandis ! Si l’on considère que les musicologues étudient la musique d’un point de vue théorique, on peut estimer que Musique en Wallonie constitue un volet “recherche appliquée” de notre discipline.
Analyser une pièce, étudier l’oeuvre entière d’un compositeur, comparer l’enseignement de la musique à telle époque, à Liège ou à Cologne, etc., c’est le travail des musicologues. Certains étudiants nous livrent parfois des mémoires extrêmement intéressants, lesquels finissent trop souvent hélas sur une étagère ; au mieux font-ils l’objet d’une publication scientifique. Dans certains cas pourtant, il serait intéressant d’entendre la partition oubliée, de jouer la sonate inconnue, de faire vivre un opéra. Grâce à Musique en Wallonie, ces choses sont possibles.
Récemment, une étudiante japonaise a soutenu à l’ULg une thèse sur un opéra de François-Joseph Gossec, un compositeur hennuyer contemporain de Grétry. Elle a établi l’édition critique de l’opéra, laquelle a été publiée par le Centre de musique baroque de Versailles. Un chef prestigieux vient de s’y intéresser et a décidé de l’enregistrer. De la même manière, nous avons souhaité enregistrer une partie du répertoire d’Henri Vieuxtemps, célèbre violoniste verviétois.
Aujourd’hui, le conseil d’administration de Musique en Wallonie est composé essentiellement de musicologues émanant des trois grandes universités francophones, ULB, UCL et ULg. Un contrat-programme signé avec le ministère de la Communauté française nous donne la possibilité d’engager une personne chargée de la mise en oeuvre et du suivi de dossiers. Il s’agit de Jérôme Gierkens, un philosophe de notre Université qui a acquis une bonne expérience de la gestion par le biais de son groupe de rock, Malibu Stacy. C’est une double formation qui nous est très précieuse.
Le 15e jour : Vous éditez des CD ?
Ch.P. : L’objet social de l’asbl est la mise en valeur du patrimoine musical de la Communauté française, jusqu’en 1950 je le précise (nous laissons aux labels Sub Rosa et Cyprès la responsabilité de la création contemporaine).
En 40 ans, nous avons produit 151 disques, des 33 tours d’abord, des CD ensuite. A l’occasion de notre anniversaire, nous avons édité six nouveaux CD : trois nouveautés, Roland de Lassus, Joseph-Hector Fiocco et Miniatures flamandes (en partenariat avec la Capella Flamenca de Leuven et la Bibliothèque royale de Belgique qui organise une exposition sur le thème); dans la collection “Voix historiques”, des airs de Huberte Vecray; et deux portraits musicaux, César Franck et Pierre de la Rue.
Le tirage de départ de la plupart des nouveautés est de 2000 exemplaires.
Notre plus grande vente ? Le Concerto pour piano de César Franck (environ 6000 disques). Quant au public, il est composé d’amateurs et de mélomanes, mais aussi d’enseignants, de musicologues et d’étudiants… Notre label est à présent distribué dans une vingtaine de pays, dont le Japon et les Etats-Unis.
Le 15e jour : Avec qui travaillez-vous ?
Ch.P. : C’est l’oeuvre qui détermine le choix des musiciens : solistes, chanteurs, quatuors, choeurs, orchestres, etc. L’éventail de nos besoins est très large. Nous travaillons en priorité avec des artistes de la région (l’Orchestre philharmonique royal de Liège et l’Opéra royal de Wallonie nous prêtent volontiers leurs concours), mais si les compétences musicales sont ailleurs, nous faisons appel à elles.
De la même manière, nous nous adressons aux spécialistes lorsqu’il s’agit de rédiger le livret qui accompagne chaque CD. Depuis trois ans en effet, nous avons décidé de proposer à la vente un véritable “livre-objet” avec une couverture cartonnée et illustrée ainsi qu’un texte de présentation traduit en néerlandais, en allemand et en anglais. C’est ainsi que nous faisons appel à d’autres services de l’Alma mater pour les traductions des textes, la recherche iconographique et que nous collaborons avec les musées, les bibliothèques, les médiathèques, etc. Le label se pare ainsi d’une véritable caution scientifique et tente de résister au piratage en ligne. Jusqu’à présent, cela nous a permis de maintenir les ventes, mais je crains que la concurrence d’internet soit plus forte dans l’avenir et nous oblige à revoir notre politique de diffusion.
Le 15e jour : Combien d’albums pensez-vous encore faire paraître ?
Ch.P. : La liste de nos souhaits est interminable ! L’inventaire des musiques en Wallonie est extrêmement riche. Cela s’explique notamment par le fait qu’aux XVe, XVIe et XIXe siècles, la musique s’est écrite au coeur de l’Europe, entre la Meuse et l’Escaut. André-Ernest-Modeste Grétry, César Franck et Guillaume Lekeu figurent parmi les musiciens les plus célèbres de la Belgique naissante, mais Gilles Binchois, Johannes Ockeghem, Pierre de la Rue et Roland de Lassus ont été des fleurons de la polyphonie franco-flamande qui a dominé l’Europe à la Renaissance.
Par ailleurs, il faut savoir que moins de 3% du répertoire seulement est enregistré. Nous avons dans notre patrimoine des centaines de compositeurs et des milliers de pièces à valoriser… Pour le moment, nous menons un grand projet autour de Roland de Lassus. Dans le cadre de “Mons capitale culturelle de l’Europe” en 2015, il nous a paru judicieux de publier une sélection d’oeuvres inédites du célèbre compositeur montois.
Propos recueillis par Patricia Janssens
Photo : J.-L. Wertz
Voir le dossier sur le site Culture : www.culture.ulg.ac.be (rubrique musiques)
Contacts : tél. 04.366.54.81, courriel musiqueenwallonie@ulg.ac.be, site www.musiqueenwallonie.be