La politique d’immigration est une politique publique souvent teintée d’ambiguïtés. Elle vise en principe à réguler l’entrée, le séjour et la sortie d’étrangers sur le territoire. Mais elle peut aussi être réduite à une politique de contrôle des frontières ou servir d’autres agendas.
Au regard de la récente déclaration de politique générale du gouvernement en ce qui concerne la réforme de l’asile et de l’immigration, deux choses me frappent. D’une part, le gouvernement affiche une volonté de cohérence et de coordination dans ces matières avec la nomination d’une ministre chargée de l’asile, de l’immigration, du séjour et du retour mais aussi avec l’élaboration d’un code de l’immigration pour synthétiser les lois s’y rapportant. En même temps, une modification majeure est annoncée puisque les critères relatifs à l’immigration de travail relèveront désormais des Régions et ceux relatifs à l’immigration pour études incomberont aux Communautés. La politique d’immigration belge devra donc s’articuler sur trois niveaux : européen, fédéral et entités fédérées. C’est plus compliqué mais plus approprié à la situation. Par ailleurs, la déclaration fait la part belle à la réduction de l’immigration (campagne de dissuasion pour les candidats à l’asile, promotion du retour, recours aux centres fermés, haute sécurisation des zones portuaires, conditions plus exigeantes pour l’octroi de la nationalité). L’objectif reste donc d’“éviter une nouvelle migration vers l’Europe”. On constate ainsi une continuité dans la politique suivie depuis plusieurs décennies.
“Il est temps de considérer la migration comme une caractéristique de nos sociétés – et comme une chance pour celles-ci – et d’en tirer les conséquences politiques. ”
Pourtant, au vu de plusieurs éléments comme la persistance d’une immigration irrégulière, les morts aux frontières européennes, le recours à des régularisations qui ne sont rien d’autre que des admissions a posteriori ou plus trivialement les défis liés au vieillissement de la population, on peut s’interroger sur cette résistance à l’immigration. En effet, quelles que soient les politiques migratoires mises en place, les migrations sont une réalité. Il s’agit d’un phénomène social normal et continu. « We are all immigrants and migration concerns all state », rappelait il y a peu le Pr François Crépeau, rapporteur spécial sur les droits humains des migrants de l’assemblée générale des Nations unies1.
La persistance d’une politique axée sur les contrôles migratoires et soutenue par un discours de fermeture a des conséquences graves à différents niveaux. Les risques liés à la migration augmentent (plus de 14 000 morts aux frontières européennes en 25 ans)2. L’industrie de l’immigration se développe avec des intermédiaires qui tirent profit des obstacles à la migration. Les migrants se trouvent ainsi dans des positions d’extrême vulnérabilité et de risque d’exploitation étant donné le coût financier qu’ils supportent3. Les besoins d’une immigration de travailleurs sont négligés et le rôle que jouent notamment les travailleurs migrants sans-papiers (travaux pénibles, sales et dangereux) semble ignoré. En outre, le discours dominant qui brandit l’immigration comme un problème et l’immigré comme un risque ou, au pire, une menace ne compromet-il pas la cohésion sociale ? Ne favorise-t-il pas l’émergence d’expressions de haine et d’intolérance de plus en plus violentes et de plus en plus fréquentes ?
A l’heure où de nombreux bouleversements tels que les conséquences de la crise financière, les catastrophes liées au changement climatique ou les révolutions arabes – pour n’en citer que quelques-uns – affectent, entre autres, la société belge, le temps est venu pour un changement courageux. Il est urgent de modifier le paradigme de la politique migratoire, non seulement au niveau belge mais aussi au niveau européen. Il est temps de considérer la migration comme une caractéristique de nos sociétés et comme une chance pour celles-ci et d’en tirer les conséquences politiques.
Ce changement nécessite un discours politique positif et volontariste, une visée à plus long terme de la politique migratoire; il implique enfin de considérer les migrants comme des citoyens potentiels. Mais au-delà des responsables des politiques publiques, il devient impérieux que tout un chacun prenne conscience que la Belgique est un pays d’immigration qui se nourrit de la diversité produite et du travail des immigrés quel que soit leur statut. Tous les résidents auraient à gagner à valoriser cette diversité et à se réjouir de pouvoir s’impliquer, chacun à son niveau, dans la construction d’une “démocratie multiculturelle”4.
Sonia Gsir
Chercheuse au Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (Cedem), auteur d’une thèse de doctorat sur “Une politique européenne d’immigration de travail : l’entrouverture communautaire”
Photo : J.-L. Wertz
1 21 octobre 2011, www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=11523&LangID=E
2 http://app.owni.fr/mortsauxfrontieres/
3 A titre d’exemple récent, le coût de la traversée clandestine de la France vers l’Angleterre peut aller jusqu’à 6000 euros par personne (données relevées en novembre 2011).
4 Martiniello M., La Démocratie multiculturelle. Citoyenneté, diversité, justice sociale. Presses de Sciences Po, Paris , 2011.