Janvier 2012 /210

Nouvelles avancées dans le traitement des douleurs chroniques

douleur4L’algologie, science de la lutte contre la douleur, a fait d’indéniables progrès depuis une dizaine d’années. Grâce à l’essor magistral des neurosciences, la souffrance des patients est maintenant mieux comprise et mieux traitée. Les techniques d’imagerie, par résonance magnétique notamment, permettent à l’ensemble du corps médical d’accueillir les doléances des personnes avec une meilleure compréhension.

Au CHU de Liège, Marie-Elisabeth Faymonville – médecin anesthésiste, chargée de cours au département des sciences cliniques – dirige le Centre de la douleur. Elle a participé dernièrement à un rapport sur “la prise en charge de la douleur chronique en Belgique”, à la demande du Service public fédéral de santé publique1. « Qu’est-ce que la douleur ?, s’interroge celle qui fut autrefois directrice du Centre des grands brûlés. C’est extrêmement subjectif. La douleur est impondérable, invisible ; elle est “radio-transparente”. Elle est même culturelle ! Dans certains pays, les individus expriment bruyamment leur peine tandis que sous d’autres cieux il est de bon ton de maîtriser sa souffrance. Si les patients éprouvent souvent des difficultés à décrire leur mal, le corps médical est par conséquent parfois démuni pour cerner le problème. Or plus le diagnostic est précis, meilleure est la prise en charge. »

Causes multiples, conséquences en cascade

Fondamentalement différente de la douleur aiguë, la douleur chronique doit être traitée de manière spécifique. En effet, dans le premier cas, la douleur a un rôle d’alarme. Elle incite à réagir rapidement parce que l’organisme est sévèrement attaqué et qu’il y a menace sur l’intégrité physique ; c’est le cas, par exemple, lors d’abcès dentaires, de brûlures, d’infarctus, de crampes abdominales, etc. La douleur aiguë est donc un symptôme utile et protecteur. Sur le plan médical, elle correspond à une situation habituelle qui demande un traitement adapté pour conduire à sa disparition.

Lorsque les médications ne parviennent pas à apaiser la souffrance et que la douleur perdure, on parle alors de douleur chronique. L’OMS la définit comme “une douleur qui persiste plus de six mois” et l’on pense aux lombalgies, aux céphalées, aux pathologies inflammatoires. « Cette douleur persistante devient rapidement invalidante, poursuit Marie-Elisabeth Faymonville. Le patient entre dans une spirale de polymédication dont le bénéfice est faible, sombre parfois dans un catastrophisme délétère et manifeste des troubles de l’humeur difficiles à vivre pour ses proches. Certains s’orientent vers la chirurgie… qui n’est pas toujours conseillée. Peu à peu ces patients s’isolent dans leur douleur, se coupent de toute vie sociale. Ainsi commence ce que nous appelons la “douleur-maladie”. Des réactions émotionnelles d’anxiété, voire de détresse apparaissent. En l’absence de solution efficace, le patient peut se rebeller ou se résigner pour adopter un “comportement de malade” : c’est le syndrome douloureux chronique. »

 

douleur2Sortir de l’engrenage

En 2001, la fondation européenne des chapitres de l’Association internationale pour l’étude de la douleur déclarait que “la douleur chronique avec ses conséquences multiples sur l’activité physique, les limitations socio-économiques et la qualité de vie pouvait être vue comme une maladie à part entière”. Elle constitue à l’évidence un réel problème de santé publique. Ses conséquences sont multiples sur l’activité physique, l’activité professionnelle, la qualité de la vie. Une enquête européenne menée en 2006 montre que la Belgique se situe au 5e rang des plus gros consommateurs d’anti-douleurs. Si près de la moitié de la population belge âgée de plus de 15 ans ne présente aucun symptôme douloureux, l’autre moitié évoque néanmoins une douleur au cours des quatre dernières semaines. Les femmes sont plus nombreuses (56%) que les hommes (45%) à s’en plaindre.

Selon Marie-Elisabeth Faymonville, « le seul substrat biologique n’explique pas tout » et le traitement ne peut plus, dès lors, relever uniquement de la sphère bio-médicale. En effet, on n’a plus seulement affaire à un tissu lésé mais à une problématique bien plus complexe. Une approche globale du patient est nécessaire, sur le plan biologique, psycho-social et professionnel. Au CHU de Liège, le Centre de la douleur réunit des spécialistes de différentes disciplines : anesthésistes, neurochirurgiens, gériatres, internistes, psychologues, kinésithérapeutes, infirmiers, etc.

Si la médecine dispose d’un panel d’outils pour soulager la douleur – infiltrations, anti-douleurs per os, patchs, Tens, radiofréquence –, l’approche psychologique est également recommandée dans les cas chroniques. A cet égard, on sait que plusieurs facteurs influencent la perception de la douleur. Parmi eux figurent l’inactivité, la fatigue, l’anxiété, l’attitude de l’entourage, la représentation que le patient a de la pathologie. « D’autre part, confirme Marie-Elisabeth Faymonville, de multiples études réalisées grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont mis en lumière que la distraction, la méditation, le placebo et l’hypnose peuvent modifier sensiblement la perception de la douleur. »

Au CHU de Liège, les anesthésistes utilisent depuis près de 20 ans les techniques de l’hypnose couplées à une légère sédation en salle d’opération. « 8000 patients ont été opérés de la sorte, signale-t-elle, pour des interventions sur la tyroïde, le nez, pour des hernies ou encore des interventions de chirurgie plastique, etc. » Beaucoup d’anesthésistes sont formés2 à cette démarche qui a fait l’objet de plusieurs publications scientifiques.

 

douleur1L’auto-hypnose comme remède

Depuis 1997, Marie-Elisabeth Faymonville a noué une collaboration très fructueuse avec Pierre Maquet et Steven Laureys, tous deux chercheurs au Centre de recherches du cyclotron. Ensemble, ils ont démontré que l’hypnose avait bien une influence sur le fonctionnement du cerveau. Grâce à l’imagerie fonctionnelle du cerveau (PET scan, IRM f ), preuve est faite que celui-ci ne réagit pas de la même façon lorsqu’il est ou non en état d’hypnose. « Nous savions que le raisonnement, l’analyse et le jugement d’un patient diminuent sous hypnose, poursuit Marie-Elisabeth Faymonville, tandis que la suggestion et la crédivité – ce sentiment qui fait croire sans besoin de preuve – augmentent. Les études de neuroimagerie montrent maintenant que l’hypnose modifie la perception de la douleur et cela se traduit par un fonctionnement cérébral modifié. »

L’intérêt majeur de cette découverte réside dans le fait que l’hypnose est une capacité innée chez l’individu, capacité que le patient peut utiliser lui-même, dans la mesure où il a suivi une formation ad hoc. Une étude est en cours et elle porte sur 100 patients qui utilisent l’auto-hypnose pour mieux gérer la problématique de douleur chronique. Elle montre des résultats très encourageants. Dans une analyse préliminaire, on a constaté que ces patients modifient leurs attentes par rapport au corps médical et tentent de mobiliser leurs propres ressources. Par ailleurs, ils améliorent leur humeur et ceci

influence leur qualité de vie3. « Même si elle ne fait pas de miracles,l’auto-hypnose est un outil extrêmement intéressant dans la gestion d’un problème de douleurs chroniques », conclut l’anesthésiste.

Patricia Janssens

1 Prise en charge de la douleur chronique en Belgique - Passé, présent et futur, rapport de consensus scientifique concernant l’évaluation des projets pilotes de la douleur chronique, mis en place dans le cadre du programme pour les maladies chroniques. A la demande du service public fédéral Santé publique, sécurité de la chaîne alimentaire et environnement. Réalisé par des membres de l’ULg, l’UCL, la KUL, l’université d’Anvers et de celle de Gand, 2011. Informations : www.health.belgium.be/eportal
2 Marie-Elisabeth Faymonville et le Pr Anne-Sophie Nyssen (faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation) donnent des cours aux médecins, psychologues et dentistes.
3 Faymonville ME, Palmaricciotti, “Apprentissage d’auto-hypnose en groupe pour un problème de douleur”, 7e Forum d’hypnose et de thérapies brèves, Biarritz, juin 2011.

Contacts : Centre de la douleur – algologie, tél. 04.366.81.34, courriel centre.douleur@chu.ulg.ac.be, site www.algologie.ulg.ac.be et www.hypnose.ulg.ac.be

Conférence

Marie-Elisabeth Faymonville est l’invitée des Grands Conférences liégeoises. Elle donnera une conférence intitulée “Hypnose, un outil pour une meilleure gestion de la douleur”, le jeudi 19 janvier à 20h15, au Palais des congrès, esplanade de l’Europe 2, 4020 Liège.

Contacts : informations et réservations, tél. 04.221.92.21 ou 04.341.34.13

 

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