Le Centre d’ingénierie des protéines (CIP), installé dans le cadre un peu monastique du B6 Chimie sur le campus de Sart-Tilman, développe depuis 20 ans des activités liées à la biochimie au sens large. En particulier, une de ses unités s’intéresse à l’enzymologie (branche de la chimie dédiée à l’étude des enzymes) ainsi qu’au versant de la biochimie ayant directement trait au mécanisme de repliement des protéines ou folding.
Précieuses protéines
Au coeur d’une variété de mécanismes physiologiques essentiels à la vie, les protéines sont des macromolécules formées d’au moins une chaîne d’acides aminés. « Cette chaîne se replie sur elle-même comme on replierait un collier de perles dans son écrin. Un tel processus, spontané, lui permet d’acquérir une structure tridimensionnelle tout à fait spécifique qui la rend biologiquement fonctionnelle, c’est-à-dire active », explique André Matagne, professeur au département des sciences de la vie. Dans ce domaine d’activité, depuis les années 1990, une partie importante de la recherche fondamentale mondiale a trait à l’étude des maladies neuro-dégénératives liées à un repliement dysfonctionnel des protéines : Parkinson, Alzheimer mais aussi les maladies à prions telles que l’encéphalopathie spongiforme bovine et la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Dans le même temps, le Center for Protein Engineering de l’UL g, qui regroupe plusieurs laboratoires composés d’une centaine d’acteurs dont cinq académiques et neuf chercheurs permanents, poursuit des travaux relatifs à la « cinétique d’acquisition de structure » dans ce qu’elle a de plus régulier. Pour partie, l’intérêt de tels travaux tient à ce qu’ils facilitent la manipulation des protéines dans un cadre industriel. « C’est par exemple le cas d’une entreprise cherchant à améliorer l’efficacité de ses poudres à lessiver en recourant à une enzyme, c’est-à-dire une protéine, modifiée de manière à assurer de façon optimale l’élimination des graisses. Ou encore le cas d’une enzyme intervenant dans la fabrication d’une pâte à pain. Cette pâte, on le sait, doit être chauffée. Or, l’enzyme se dénature à haute température. L’industriel cherchera donc à mettre au point une enzyme plus résistante ou qui travaille à basse température », poursuit André Matagne. Toutefois, la transformation des protéines ne peut s’opérer qu’en veillant à ne pas en altérer la structure et le mécanisme de repliement. Qu’il y a donc tout intérêt à bien comprendre.
C’est dans cet esprit que le laboratoire d’André Matagne (ensymologie et repliment des protéines) au sein du CIP vient de décrocher un contrat de type partenariat publié-privé, co-financé par la Région wallonne, en collaboration avec la société Eurogentec, ancienne spin-off de l’ULg notamment active dans la production de protéines. Le rapport avec l’université de Liège ? Il est en réalité fréquent que la production de protéines s’effectue par le biais d’une bactérie – par exemple la bactérie intestinale Escherichia coli, très commune chez l’être humain et capable de reproduire les protéines en quantités très importantes. « Toutefois, en réaction à la surproduction, la bactérie fait en sorte que les protéines forment à l’intérieur du cytoplasme des agrégats non solubles de protéines pures dits corps d’inclusion, précise André Matagne. Il faut alors séparer ce corps d’inclusion du reste du cytoplasme, puis rendre nos protéines solubles et fonctionnelles. Or, s’il n’est guère difficile grâce à des dénaturants chimiques (de l’urée en forte concentration, par exemple), de rendre solubles ces agrégats de protéines, il s’agira ensuite d’éliminer toute trace de dénaturant. La protéine pourra alors se replier correctement et adopter sa forme active. »
Know-how et équipement
Or, le rendement de cette dernière opération demeure très faible : peu de protéines sont in fine capables de se replier correctement et les pertes sont alors considérables, tant pour l’industriel que pour le chercheur. Dans ce contexte, une collaboration avec Eurogentec fait sens : « Nous mènerons chez nous une recherche qui profitera simultanément à l’industriel et à l’universitaire. » Pour Eurogentec, le laboratoire tiendra surtout lieu de réservoir de compétences et d’équipements, permettant l’évaluation quantitative du succès de repliement de leurs protéines. « Nous sommes en mesure de déterminer dans quelles conditions le rendement du “folding” est le plus élevé. Eurogentec sera donc amenée à valider ponctuellement, dans nos murs, les processus de production de protéines qu’elle met en place », conclut André Matagne. Co-financé par la Région wallonne, l’entreprise Eurogentec et l’UL g, ce contrat porte sur deux ans et, depuis le lancement du projet en juillet 2011, a d’ores et déjà permis le recrutement d’une post-doctorante, le Dr Julie Vandenameele, et d’une technicienne, Julianan Kozarova, à temps plein. Une première évaluation aura lieu au bout de 18 mois.
Patrick Camal