Janvier 2012 /210
Janvier 2012 /210
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L’université de Liège dans sa région

RentierBernardBernard Rentier est recteur de l’ULg depuis 2005.

Le 15e jour du mois : Ce fut une première : à votre instigation, l’ULg a “fait une pause” le 7 décembre dernier, jour de manifestation organisée par les syndicats en soutien aux travailleurs d’ArcelorMittal. Pourquoi ?

Bernard Rentier : ArcelorMittal a en effet annoncé la fermeture de la phase à chaud des hauts fourneaux de Seraing et d’Ougrée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas une bonne nouvelle pour la région. Si l’on se place sur le terrain de l’économie, les points de vue peuvent se discuter : des voix s’élèvent pour critiquer les intentions de Mittal tandis que d’autres rappellent qu’il a prolongé l’activité des hauts fourneaux pendant huit ans. Sur le terrain social, a contrario, tout le monde est unanime : le choc sera rude pour la ville, le pays de Liège et la Wallonie.

Ce sont ces raisons qui m’ont poussé à poser un geste de solidarité à l’égard des travailleurs d’ArcelorMittal le 7 décembre. Ne rien faire me paraissait indécent. Sans aucunement vouloir prendre parti sur le bien-fondé ou non de cette fermeture, l’UL g ne peut – ni ne veut – rester insensible à l’émotion que suscite la mise à pied d’un grand nombre de travailleurs de sa région. Certes, des voix se sont élevées pour souligner que le travail des chercheurs s’inscrit pleinement dans le soutien de la région. Mais il fallait faire plus. Sans qu’il soit question d’une grève universitaire, qui n’aurait guère de sens, j’ai souhaité que soit organisée une action spectaculaire, spécifiquement universitaire. C’était aussi la demande formulée par les étudiants siégeant au conseil d’administration de l’ULg.

A l’occasion de cette journée, au moment où des milliers de personnes étaient dans la rue, j’ai appelé la communauté universitaire à faire une pause. Une pause dans son quotidien. Une trêve, non pas pour prendre congé, mais bien pour participer à des débats, pour échanger des idées, pour s’informer. Au Sart-Tilman, rue Louvrex, place du 20-Août ainsi qu’à Gembloux et à Arlon, il y a eu des rencontres, des projections, des échanges de vue. C’était mon but. Il a été atteint sur le principe. J’aurais aimé une mobilisation étudiante plus large… mais la date retenue – le 7 décembre, lendemain de la saint-Nicolas – explique peut-être leur relatif ralliement.

Le 15e jour : Comptez-vous donner une suite à cette initiative ?

B.R. : Nous devons pérenniser l’idée d’un think tank à la mode universitaire. Des initiatives existent : “Liège Créative” est un bon exemple. Mais notre Université doit s’impliquer de manière plus cohérente, plus visible encore dans son rôle citoyen. A HEC-Ecole de gestion de l’ULg, les professeurs ont discuté avec les étudiants en réfléchissant sur le rôle des futurs économistes, financiers et gestionnaires. Que peuvent-ils faire dès maintenant pour la région ? Depuis plusieurs années, on parle de la “responsabilité sociale des entreprises” ; sans doute faut-il s’interroger à présent sur une “responsabilité sociale universitaire”.

Si la phase à chaud n’est plus rentable à Seraing et Ougrée, le savoir-faire du “froid” est quant à lui une perle rare. C’est dans notre vallée que se trouve ce qui est irremplaçable, le know how. C’est donc dans ce domaine qu’il faut se retrousser les manches pour perpétuer l’entreprise mais aussi pour créer d’autres produits, donner naissance à de nouvelles sociétés. Nos ingénieurs, nos chimistes ont certainement un rôle à jouer ici. Et ceci n’empêche nullement de développer des initiatives dans d’autres domaines.

Nous devons aussi capitaliser sur notre extraordinaire situation géographique. Non seulement Liège dispose d’une gare TGV, d’un aéroport et d’un port fluvial, mais elle est aussi au coeur d’un réseau autoroutier de premier plan. Nous avons l’excellence logistique et l’excellence du savoir-faire ! Encore faut-il le faire savoir. A cet égard, le projet lancé par le GRE – l’exposition internationale “Liège 2017” – est particulièrement intéressant pour la ville, pour la Belgique, pour l’ULg (et les rankings incidemment !). Les événements de cette envergure sont un levier extrêmement important pour une image internationale. Qui connaissait Brisbane avant l’exposition internationale de 1988, ou, dans un registre différent, Albertville avant les Jeux olympiques d’hiver 1992 ? L’Université a certainement sa pierre à apporter à l’édifice. Nous devons fédérer notre expertise : c’est ce que j’ai proposé à l’Université de la Grande Région (Uni-GR).

Le 15e jour : Créer une expertise de la Grande Région ?

B.R. : Les sept universités de l’Uni-GR (pour mémoire, Liège, Luxembourg, Nancy-Metz, Trêves, Kaiserslautern, Sarrebruck) ont un point commun : celui d’être implantées dans des villes concernées, depuis plusieurs années, par la crise de la sidérurgie. Tout ce bassin doit affronter le phénomène du déclin de l’acier et concevoir la reconversion de son économie. Notre adaptation à l’évolution est cruciale. Nous devons changer de paradigme, diversifier nos activités. Il me semble que les universités de l’Uni-GR pourraient s’emparer de cette problématique et mobiliser leurs compétences pour venir en aide à l’ensemble de ce territoire. L’expertise ainsi réalisée pourra aussi servir aux autres régions européennes.

Je pense que nous pourrions créer une sorte d’Institut interdisciplinaire international développant une expertise utile pour beaucoup d’autres régions d’Europe et d’ailleurs attractive de surcroît pour leurs étudiants. Je sais que l’idée peut paraître trop ambitieuse, voire irréaliste. C’est ce que l’on disait du Giga il y a quelques années. Or le succès de cette nouvelle approche de la recherche est indéniable. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos : J.-L. Wertz

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