Février 2012 /211
Février 2012 /211

Les poissons ont des oreilles

VacarmeMarinAristote déjà, dans son Histoire des animaux (Περὶ τὰ ζῷαἱστορίαι), évoquait les bruits émis par certains poissons en situation de stress, par exemple lorsqu’ils sont emprisonnés dans un filet de pêche. Et des écrits datant du XVIe siècle croquent des marins l’oreille collée sur la coque de leur bateau pour repérer les bancs de poissons, notamment celui des maigres qui forment de véritables choeurs dans les estuaires en période de reproduction. Aujourd’hui, il est bien admis que le monde du silence cher au commandant Cousteau est tout sauf silencieux. La question n’est plus de savoir si les poissons font du bruit, mais comment ils produisent tout ce vacarme aquatique et à quelles fins biologiques.

Un monde de sonorités

La capacité à produire des sons est déjà bien documentée chez de nombreux poissons. Le laboratoire de morphologie fonctionnelle et évolutive de l’ULg a notamment montré en 2007 comment le poisson clown (Nemo) fait du bruit en claquant les mâchoires lorsque son territoire est menacé. La même équipe vient de démontrer que les piranhas lancent de véritables cris de guerre lorsqu’ils sont aux prises avec un adversaire, par exemple un autre piranha qui menace leur espace vital. Le premier son est émis en situation de frontal display, lorsque les deux poissons se font face, et ressemble à un aboiement d’intimidation. Le deuxième accompagne une manoeuvre d’encerclement de l’adversaire et s’apparente à un battement de tambour. Le troisième est provoqué par la mâchoire qui claque dans le vide et précède immédiatement l’attaque proprement dite. Pour aboutir à ces conclusions, les chercheurs ont planté une caméra devant un aquarium occupé par des piranhas et ont immergé un micro waterproof (hydrophone) dans l’eau. Au terme de longues observations, ils ont pu associer certains sons avec les comportements d’agression décrits ci-dessus.

L’autre volet de l’étude consistait à comprendre comment le piranha produit ces sons. Les chercheurs ont ouvert des poissons sous anesthésie ; ils ont fixé un disque réfléchissant sur l’organe supposé faire office de caisse de résonance, à savoir la vessie natatoire (une poche d’air située entre l’appareil digestif et la colonne vertébrale du poisson et qui lui sert d’organe de flottaison) ; ils ont finalement pointé un rayon laser en direction du disque de sorte que chaque mouvement imprimé à la vessie soit détecté. L’expérience consistait à stimuler le muscle situé autour de la vessie natatoire (muscle sonique) avec une électrode pour provoquer des contractions musculaires. « Nous avons découvert que c’est bien le muscle sonique qui est déterminant dans la production du son, explique le directeur du laboratoire Eric Parmentier. La vessie natatoire est complètement tributaire de la contraction musculaire ; elle est incapable de soutenir une vibration. Ce qui est en plus remarquable chez le piranha, comme chez d’autres poissons, c’est la vitesse de cette contraction : jusqu’à 150 fois par seconde ! »

 

Pour pousser plus loin la recherche sur la communication sonore des poissons, le laboratoire de morphologie fonctionnelle et évolutive vient d’acquérir un équipement rare qui permet, dans une chambre sourde, de dresser l’audiogramme des poissons, un peu comme en médecine humaine pour détecter les troubles auditifs. Les murs du local sont épais et insonorisés, la pièce est une cage de Faraday pour éviter le bruit des ondes électromagnétiques, le tout repose sur un revêtement en caoutchouc qui amortit les vibrations. L’aquarium est installé à l’intérieur, un haut-parleur aquatique est plongé dedans, relié à un ordinateur et un amplificateur émettant des sons de plus ou moins hautes fréquences et de plus ou moins grandes amplitudes. Le poisson étudié est équipé d’une électrode greffée entre la peau et le crâne. Cette électrode enregistre l’activité du cerveau. L’objectif est de mesurer quelles sont les fréquences que peut détecter un poisson et à quelles amplitudes.

« Une de nos chercheuses, souligne Eric Parmentier, vise à comprendre comment des poissons qui sont rejetés par la mer à des kilomètres de leur récif natal – alors qu’ils sont encore à l’état d’oeufs ou de larves – sont capables de retrouver leur chemin des mois plus tard. C’est peut-être le bruit du récif qui leur permet de s’orienter. » Pour en avoir le coeur net, la chercheuse est allée faire des mesures dans une station de recherche française à Tahiti. En barque, elle a plongé son micro dans l’eau en s’éloignant progressivement du récif, jusqu’à plusieurs kilomètres pour enregistrer les bruits de celui-ci. Le second volet de l’étude va consister à dresser l’audiogramme de certains poissons typiques de ce milieu-là pour vérifier s’ils sont capables d’entendre les bruits du récif, et surtout jusqu’à quelle distance.

Pollution humaine

Les chercheurs de l’ULg voudraient aussi étudier l’impact de la pollution sonore d’origine humaine sur les poissons. Sont-ils en mesure d’entendre le bruit des bateaux, des stations de forage, des éoliennes offshore, etc? Et si oui, quel est l’impact de cette pollution sur leur santé et leurs comportements ? Une autre recherche envisagée touche à la médecine humaine. On sait que certains antibiotiques ont tendance à détruire les cellules ciliées, nécessaires à la transmission des messages auditifs vers le cerveau. Etudier l’effet de ces antibiotiques sur le système auditif des poissons est intéressant car, contrairement aux mammifères, ils possèdent une capacité à régénérer leurs cellules ciliées. Le traitement de la surdité se trouve peut-être au fond de la mer…

Clément Violet

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant/zoologie).

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