Avril 2012 /213

Le macaque rend de précieux services

Macaque1C’était un rêve de son adolescence, voire de son enfance. Aurélie Albert a toujours ardemment souhaité étudier les animaux dans leur environnement naturel. Elle a été servie ! Pendant près de 18 mois, cette jeune chercheuse, originaire de Bayonne dans le sud de la France, a suivi pas à pas un groupe de macaques pour le compte du groupe de recherche en primatologie de l’université de Liège. Pas n’importe quel macaque : celui à queue de cochon du Nord, une espèce frugivore du Sud-Est asiatique ainsi dénommée à cause de la queue hélicoïdale portée par les jeunes et dont la littérature scientifique, jusqu’ici, ne disait pas grand-chose en matière d’éthologie ni d’écologie. Pas n’importe où non plus : au coeur du Khao Yai, le premier parc national thaïlandais. Créé dès 1962, celui-ci est aujourd’hui arpenté par des scientifiques issus du monde entier, mais aussi par les touristes avides de découvrir ce qui subsiste de la forêt primaire tropicale.

Atout pour l’écosystème

Comme les autres macaques, le “queue de cochon” est muni de poches jugales, sortes de bajoues dans lesquelles il peut stocker les fruits avant leur consommation. Mais l’animal a aussi une spécificité : semi-terrestre, il passe une bonne partie de son temps à terre, ne se réfugiant dans les hauteurs arborées que pour manger tranquillement et dormir.

Macaque2Il ne rechigne donc pas à quitter les forêts primaires pour fréquenter des milieux variés, et tout particulièrement les forêts secondaires, dégradées par l’homme. Voilà qui fait tout son intérêt pour l’écosystème, puisqu’il s’avère un excellent disperseur de graines, contribuant d’une façon naturelle à la régénération de la forêt. C’est ce qu’a démontré Aurélie Albert dans sa thèse de doctorat, défendue avec succès en février dernier. Après avoir familiarisé à sa présence un groupe d’une quarantaine de macaques, elle les a suivis dans leurs différents points de nourrissage et de repos, se mêlant à eux (au sol) ou suivant aux jumelles leurs déplacements dans la canopée. L’un de ses objectifs : voir si les trois techniques de manipulation des graines utilisées par l’espèce – le recrachage, l’ingestion suivie de la défécation et le dépôt après ouverture manuelle du fruit – se révèlent efficaces en termes de dispersion des graines.

La réponse au questionnement initial ne fait pas de doute : oui, Macaca leonina est un excellent disperseur de graines. Peut-être pas le meilleur de la forêt, si on le compare avec les bulbuls, calaos, chauves-souris, civettes et autres primates, etc. Mais il est en tout cas un excellent “outil” de dispersion, capable de disséminer des graines longues jusqu’à 58 millimètres. Ses sucs gastriques, par exemple, ne compromettent pas le potentiel germinatif des graines ingérées.

Macaque3

Ce genre de découvertes pourrait donner lieu à des applications pratiques insolites en matière de reforestation. Dans certains pays asiatiques, on incite déjà certaines espèces d’oiseaux à fréquenter des perchoirs artificiels, disposés volontairement dans des zones destinées à être réensemencées, car on sait qu’ils ne défèquent jamais en vol mais posés. Pourquoi, dès lors, ne pas utiliser les macaques dans le même objectif ? D’autant que cela serait de nature à rehausser leur image négative, liée à leurs comportements intrusifs et chapardeurs.

Le meilleur ami de la forêt

Le travail scientifique est pourtant loin d’être clôturé. Il reste en effet à étudier la germination des graines en milieu naturel, celles-ci n’ayant pu être évaluées par la doctorante qu’en milieu expérimental (hors-sol). Enfin, une hypothèse fondamentale doit encore être confirmée : malgré leur grande adaptabilité en termes d’alimentation et d’habitat (ils sont dits “opportunistes”), les macaques à queue de cochon du Nord semblent avoir besoin, pour jouer ce rôle de régénération, d’un seuil minimal de forêts primaires laissées à leur disposition. En-deçà, leur rôle de jardinier ne semble plus possible. Un argument fort en faveur de leur protection drastique.

Philippe Lamotte
Photos : Aurélie Albert

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant/zoologie)

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