Avril 2012 /213

Histoire culturelle de la Wallonie

Une fois encore, le fonds Mercator publie un très bel ouvrage consacré au patrimoine. Richement illustrée, l’Histoire culturelle de la Wallonie offre une vision historique et thématique de la culture en Wallonie. A travers les nombreuses expressions artistiques, musicales, littéraires et autres d’un sentiment wallon, elle explore aussi la question de l’identité culturelle de la Wallonie au fil des siècles. Bruno Demoulin, directeur scientifique de l’ouvrage, responsable du cours d’histoire culturelle de la Wallonie à l’ULg, et Guenaël Devillet, directeur du Service d’étude en géographie économique fondamentale et appliquée (Segefa), ont accepté de rencontrer Le 15e jour du mois.

DumoulinBrunoLe 15e jour du mois : Pourquoi publier un tel ouvrage aujourd’hui ?

Bruno Demoulin : Depuis l’Histoire de la Wallonie parue en 1973 sous la plume de Léopold Genicot, il n’y a pas encore eu d’ouvrage spécifique consacré à l’histoire culturelle de la région. Or la culture est un ciment essentiel entre les Wallons, et sans doute est-il bon d’en faire état au moment où les hommes politiques réfléchissent à son avenir institutionnel. J’insiste cependant sur le fait que la publication n’est pas un manifeste elle est oeuvre de scientifiques qui, même s’ils témoignent d’une certaine empathie pour le sujet, ne versent jamais dans la revendication politique. Dresser le portrait culturel de la Wallonie fut la seule ambition des 32 collaborateurs recrutés dans l’ensemble des universités et institutions muséales francophones. L’université de Liège est particulièrement bien représentée dans l’index des auteurs… mais il est vrai qu’elle compte dans ses rangs d’éminents spécialistes en la matière. Je me réjouis du résultat d’autant que le fonds Mercator – partenaire extrêmement précieux dans cette aventure – a décidé de faire paraître également le livre en néerlandais et en anglais. Pour la Région wallonne qui finance une partie du projet, cette publication est un motif de fierté car elle témoigne d’un (très) riche patrimoine. C’est un bel espoir pour l’avenir.

 

Le 15e jour : Venons-en à la table des matières…

B.D. : Concernant le territoire, nous avons choisi d’analyser la Wallonie telle que définie par la réforme constitutionnelle de 1970, laquelle englobe la Communauté germanophone mais pas la Région bruxelloise. Quant à la culture, nous avons repris la définition proposée par l’Unesco, soit “l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. La culture englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances”. Elle ne connaît pas les frontières : la culture transcende à l’évidence et le fait politique et le fait linguistique.

La première partie du livre revisite l’histoire de ce territoire selon un plan chronologique. La deuxième séquence présente la culture en Wallonie : la langue, la littérature, l’édition, le monde musical, les arts de la scène, les arts plastiques, la photographie, le cinéma, les musées, etc., et la troisième nous propose le regard de nos voisins bruxellois, flamands, allemands et français.

Si l’Histoire culturelle de la Wallonie montre la grande richesse du patrimoine wallon, elle révèle aussi le sens de la dérision, de l’auto-dérision, qui caractérise ses habitants et particulièrement les créateurs qui font rayonner sur la scène internationale le nom de la Wallonie.

DevilletGuenaelLe 15e jour du mois : Le Segefa a participé à un ouvrage d’histoire et de culture…

Guénaël Devillet : Oui. Nous avons dessiné une dizaine de cartes qui retracent l’évolution du territoire de l’actuelle Wallonie. Depuis la Gaule Belgique jusqu’au XXe siècle, en passant par le traité de Verdun et les Pays-Bas autrichiens. Ce cahier cartographique, placé en tout début d’ouvrage, donne en quelques pages les points de repère importants de l’histoire du territoire. Le livre montre les atouts dont dispose la Wallonie et rappelle que, jusque dans les années 1950 environ, elle était la région la plus prospère du pays. Depuis les premiers essoufflements de la sidérurgie, on assiste cependant à une reconversion difficile car la culture wallonne est marquée par ce passé glorieux et par les grandes entreprises.

Le 15e jour : Pourquoi la Wallonie accuse-t-elle depuis quelques années déjà un retard économique ?

G.D. : Si on regarde le taux de chômage, il est à l’évidence plus élevé en Wallonie qu’en Flandre alors que le contexte de taxation et le coût du travail sont identiques (ce qui n’est pas le cas en Allemagne par exemple, où le coût salarial est moindre). Pourquoi ? Je ne peux formuler que quelques hypothèses… En 1830, lors de la Révolution belge, la Flandre catholique s’est désolidarisée des Pays-Bas protestants et s’est forgée une identité spécifique. La Wallonie s’est plutôt sentie proche de la France. Forte d’une langue internationale, elle a certainement moins ressenti le besoin d’apprendre des langues étrangères, ce qui constitue un handicap pour son développement actuel. D’autre part, je le disais précédemment, la Wallonie est marquée par son passé industriel de grands groupes. En Flandre, on a vu plus tôt et plus facilement émerger de petites structures maintenant florissantes.

Le 15e jour : Peut-on raisonnablement être optimiste pour l’avenir ?

G.D. : Je le pense. La culture managériale s’installe aussi en Wallonie. Des initiatives majeures, comme les pôles de compétitivité, ont été prises également. Ces démarches ont insufflé une réelle dynamique. L’évolution des mentalités est en cours. Voyez les spin-offs par exemple. Ces petites structures sont nées à l’Université, institution jadis assez peu ouverte sur le monde économique.

A mon sens, il y a encore une autre évolution à mener : celle d’un partenariat avec nos voisins allemands. A moins de 50 km de Liège, Aix-la-Chapelle est une véritable pépinière d’ingénieurs et d’entreprises. Or nous n’avons presque pas de contacts avec ce pays ! Nous devons prendre appui sur notre communauté germanophone pour développer des collaborations, ce qui implique – on y revient – de maîtriser l’allemand. Cela prendra du temps, une génération peut-être, voire deux, mais nous sommes sur la bonne voie : des établissements secondaires proposent déjà des cursus en immersion allemande.

Propos recueillis par Patricia Janssens

Bruno Demoulin (dir.), Histoire culturelle de la Wallonie, fonds Mercator, Bruxelles, 2012.

Sur l’ouvrage, voir l’article sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/histoire).

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants