Avril 2012 /213
Avril 2012 /213
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La personne handicapée

DetrauxJeanJacquesJean-Jacques Detraux est professeur en faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation de l’ULg. Directeur de l’unité “psychologie et pédagogie du handicap” dans le département cognition et comportement, il est aussi président du Centre d’étude et de formation pour l’éducation spécialisée (Cefes).

Psychologue et pédagogue, il a concilié ses deux passions en faveur de la personne handicapée et consacré sa recherche sur l’apprentissage en général, et en particulier sur l’intégration scolaire des enfants déficients en milieux non spécialisés. A l’occasion des “Special Olympics Belgium” – qui se dérouleront à Liège du 16 au 19 mai à l’initiative de la ville de Seraing, de la province et de l’université de Liège –, Le 15e jour du mois l’a rencontré.

Le 15e jour du mois : Que pensez-vous de ce genre d’événement ?

Jean-Jacques Detraux : C’est une belle manifestation dans la mesure où elle donne aux personnes avec déficience intellectuelle la possibilité de s’épanouir grâce au sport. C’est l’occasion de mettre en valeur les talents des personnes handicapées, ce qui est toujours positif pour elles. Attention cependant de ne pas considérer les exploits de ces personnes uniquement parce qu’elles sont en situation de handicap.

Le 15e jour : Quels types de recherche menez-vous ?

J-J.D. : L’unité “psychologie et pédagogie du handicap” a défini deux axes prioritaires de recherche. Le premier est centré sur la connaissance de diverses déficiences : déficience intellectuelle, autisme (troubles de la communication), infirmité cérébrale (lésion du cerveau qui génère des troubles moteurs et des difficultés d’apprentissage). En ce qui concerne la déficience intellectuelle, diverses études portent sur des syndromes tels que les syndromes de Down (mieux connu sous le nom de trisomie 21), de Williams, de X-Fragile et de Di George (troubles de l’apprentissage). Cet axe “psychologique” entend explorer les caractéristiques de fonctionnement neuropsychologique chez ces patients afin d’affiner le diagnostic, étape indispensable à toute prise en charge. Les recherches montrent en effet qu’un profil spécifique de compétences est associé à chacun de ces syndromes.

Pour mener à bien ces études, nous collaborons notamment avec les universités de Genève, Metz, Nancy II, Rouen, Lille II, Montpellier, et nous développons des batteries d’évaluation des troubles socioémotionnels d’une part et du vieillissement précoce des adultes avec trisomie 21 d’autre part.

Le second axe, “psychopédagogique”, est consacré à l’analyse des trajectoires de vie des personnes en situation de handicap et de leur famille, en lien avec les consultations de la clinique psychologique et logopédique universitaire (CPLU ). Nous étudions comment le système familial (les parents, la fratrie, les grands-parents) fait face à la problématique du handicap (stratégies de coping, capacités de résilience), comment la crèche, l’école et les milieux éducatifs en général peuvent accueillir l’enfant différent et comment ces milieux, y compris l’Université, peuvent devenir “inclusifs” et, enfin, comment se déroule la transition vers l’âge adulte en permettant à la personne de progresser vers une autodétermination et une capacité à choisir sa vie.

Par ailleurs, nous avons participé à la création de réseaux européens sur le polyhandicap (situation de handicap très sévère) et sur l’intervention précoce chez de jeunes enfants avec diverses déficiences (accompagnement des enfants âgés de 0 à 8 ans et de leur famille).

Le 15e jour : Comment concevez-vous vos consultations ?

J-J.D. : Notre action commence dès l’annonce de la déficience aux parents. Comment vont-ils faire face ? Ensuite, nous suivons les enfants qui vont à la crèche et travaillons avec les services d’intervention précoce qui les accompagnent jusqu’à 8 ans. Nous pouvons également mener avec les parents une réflexion sur la scolarité de leur enfant. En effet, depuis la Convention relative aux droits des personnes handicapées (créée par l’ONU en 2006 et ratifiée par la Belgique en 2009) qui préconise la pleine participation sociale de toute personne handicapée, l’intégration des enfants porteurs d’une déficience dans les classes se développe dans l’enseignement ordinaire, ce qui améliore considérablement leur qualité de vie et celle des parents. Des recherches ont confirmé que nombre d’enfants porteurs d’une trisomie 21, d’un autisme, d’une infirmité motrice cérébrale, font montre de performances remarquables une fois accueillis dans une classe. Par ailleurs, nous accompagnons aussi des élèves présentant des troubles de l’apprentissage comme la dyslexie, la dyscalculie, la dysphasie, la dyspraxie, etc., et dont les parents souhaitent la poursuite de la scolarité en enseignement ordinaire.

Grâce à l’aide des neuropsychologues et des psychologues du développement, les profils de compétences sont maintenant mieux connus, ce qui permet une intervention psychologique plus ciblée. Si les enfants trisomiques, par exemple, ont un vocabulaire étendu et un bon niveau de communication pragmatique, ils manifestent des problèmes en grammaire et en compréhension. Intégrer dans leur apprentissage des éléments visuels est très utile. Comme tous les enfants, ils ont besoin de stimulations adéquates pour progresser.

Dans le cadre scolaire, nous travaillons avec les enfants, les parents, les instituteurs et les thérapeutes en tenant compte des besoins des uns et des autres. Hormis lorsque l’enfant est atteint de troubles très sévères, mentaux et moteurs, les choses se passent bien dans l’ensemble et l’on peut (on doit !) avoir des projets ambitieux.

Le 15e jour : Pensez-vous que le handicap est mieux perçu aujourd’hui ?

J-J.D. : Après 30 ans de carrière, je constate qu’il y a un net changement des mentalités à l’heure actuelle. Les écoles acceptent plus aisément la venue d’enfants présentant des déficiences et ceux-ci sont intégrés plus facilement dans les classes. Dans le monde du travail aussi, on perçoit une meilleure acceptation des personnes handicapées. Les étudiants sont également plus sensibles à cette thématique : ils sont plus nombreux aujourd’hui à réaliser un mémoire sur le sujet et à y consacrer ensuite leur carrière.

Ce qui est nouveau aussi, c’est la revendication des personnes handicapées à pourvoir s’auto-déterminer. Elles osent prendre la parole pour manifester leur volonté de faire des choix, ce qui suppose une certaine capacité intellectuelle voire un jugement critique.

Il n’en reste pas moins que la question du vivre-ensemble est et reste difficile. Un travail permanent sur les représentations que suscitent chez chacun de nous le handicap et plus généralement l’altérité chez autrui doit se poursuivre.

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos : François-Xavier Caudron

Special Olympics Belgium

Du 16 au 19 mai, aux centres sportifs du Bois de l’Abbaye, du Bois Saint-Jean, du Sart-Tilman, au bowling Carré d’as et au Manège Eperon.

Contacts : courriel bernadette.chatelle@specialolympics.be, site www.specialolympics.be

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