L’ULB et ses partenaires – l’ULg-Gembloux Agro-Bio Tech, Hanoi University of Agriculture (HUA) et le Centre d’étude et de développement agricole cambodgien – ont obtenu une subvention européenne afin de réaliser un projet en sécurité alimentaire au Laos et au Cambodge. C’est dans le cadre de la mission économique conduite par le prince Philippe au Vietnam que ce partenariat a été officialisé le 13 mars à Hanoï, au cours d’une grande cérémonie de signature rehaussée par la présence de nombreuses personnalités vietnamiennes et belges. Le projet porte le nom de “Annâdya”, ce qui signifie en sanskrit “le bonheur de manger à sa faim”.
Le Pr Philippe Lebailly, de Gembloux Agro-Bio Tech, mène depuis une vingtaine d’années des projets de coopération en Afrique et en Asie. « L’unité d’économie et de développement rural que je dirige s’intéresse à l’économie agricole ainsi qu’à l’économie du développement, expose-t-il. C’est ainsi que le Pr Pierre Petit, anthropologue à l’ULB, nous a associés à son équipe pour répondre à la proposition de la Commission européenne. Notre projet a été sélectionné dans le cadre du premier appel “Technology transfer for Food Security in Asia” lancé par la Commission européenne au début 2011. Il a été conçu en partenariat avec la l’université agronomique de Hanoi et une ONG cambodgienne. Retenu, le projet a démarré officiellement le 1er février 2012, s’étalera sur trois ans et est doté d’un budget de 3 400 000 euros, financé à 90% par l’Union européenne. »
Le projet “Annâdya” concerne deux province limitrophes, la province de Ratanakiri au Cambodge et celle d’Attapeu au Laos, près de la frontière vietnamienne. « L’ULB nous a chargés de la mise en oeuvre du projet au Laos », reprend Philippe Lebailly, qui a souhaité s’appuyer sur l’université de Hanoï où il organise déjà un master en économie rurale (en partenariat avec l’ULB et Agro Paris Tech).
Malgré une aide internationale déjà ancienne, le Cambodge et le Laos font partie des pays les plus pauvres de la planète. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime qu’une proportion importante de la population est en “insécurité alimentaire”, voire en situation de risque. Dans la province d’Attapeu, près de 20% des habitants souffrent de malnutrition. Les enfants sont souvent anémiques, beaucoup sont chétifs et la FAO considère que 4% d’entre eux sont dans une situation d’urgence humanitaire. « Les villages dans les forêts et les hauts plateaux de cette région du Laos sont très isolés voire enclavés, car les routes y sont pratiquement inexistantes, explique le Pr Lebailly. Certaines ethnies, confidentielles, vivent en marge de la société et connaissent de graves problèmes de malnutrition. Certes, il ne s’agit pas de famines, mais bien de carences majeures constatées principalement chez les femmes – y compris les femmes enceintes – et les enfants. » Dans leur régime alimentaire, les protéines, lipides et autres micro-nutriments sont loin d’êtres suffisants.

Le malaise est plus général encore du fait que de nombreux villages vivent sans système d’approvisionnement en eau : les agriculteurs la recueillent à la source ou directement à partir de petites rivières, avec des difficultés plus ou moins grandes en fonction de la saison. Les principes élémentaires d’hygiène ne sont pas respectés et les maladies dues à une consommation d’eau polluée sont fréquentes : diarrhée, dysenterie, typhoïde, hépatite, etc. La mortalité infantile est par ailleurs très élevée.
Face à cette situation, l’Union européenne a débloqué des fonds afin, dans un premier temps, d’assurer la sécurité alimentaire de ces régions déshéritées. Priorité sera donnée à l’instauration de petits élevages. « Le besoin de protéines est tel que nous avons décidé d’encadrer des fermes-pilotes qui serviront à la fois de modèle et d’outil de production d’aliments de qualité », précise Philippe Lebailly. L’introduction de techniques efficaces, simples et abordables financièrement, sera au coeur de l’action. « L’aquaculture et le petit élevage seront privilégiés afin d’améliorer le rendement des productions animales villageoises sur une base volontaire et participative en favorisant les croisements avec des races améliorées, par exemple. » Les soins vétérinaires figurent sur la liste des objectifs et une campagne de vaccination des bovins et des caprins est déjà prévue.
L’agriculture ne sera pas en reste. « Nous introduirons les méthodes intensives de production du riz et inciterons les habitants à créer des potagers personnels, continue le professeur. Le but est de générer un surplus agricole afin, d’une part, de proposer aux autochtones une alimentation variée et équilibrée et, d’autre part, de commercialiser les fruits et les légumes dans les autres villages ruraux et les villes proches. » Le projet prévoit dans cette optique d’utiliser de nouvelles méthodes pour fertiliser les sols et améliorer l’irrigation, de promouvoir ou de réhabiliter des variétés locales appropriées à la terre, aux goûts des consommateurs et à leur budget, et, last but not least, d’améliorer les pratiques de stockage et de transport afin de limiter les gaspillages. Sans oublier les principes essentiels de l’alimentation (surtout pour les femmes enceintes et les enfants), de la conservation des aliments et de l’hygiène.
Ce projet a deux ambitions majeures : celle d’augmenter de 30% la production animale dans chaque province et celle de sortir 20 000 petits propriétaires (soit 120 000 personnes environ) du contexte de sous-alimentation actuel. Un objectif humanitaire… pas toujours simple à mettre en place, reconnaît le Pr Lebailly. Qui précise : « L’administration locale peut se montrer très pointilleuse et, en outre, nous avons affaire à des gens très pauvres, non scolarisés avec lesquels la communication s’établit difficilement. Par ailleurs, on assiste dans la province au développement de projets hydroélectriques et agroindustriels (hévéa et canne à sucre) avec un accaparement des terres et des mutations profondes en milieu rural. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de travailler dans un cadre multidisciplinaire et interuniversitaire.»
Sur un plan plus académique, les différentes expériences menées à l’étranger alimentent la réflexion et peuvent orienter des recherches. « Les solutions adoptées dans d’autres contextes peuvent dans une certaine mesure être adaptées aux spécificités d’une province pauvre et peu peuplée », observe le Pr Lebailly. Sans compter que le projet “Annâdya” va permettre à quelques étudiants de réaliser un travail de fin d’études in situ, dans une structure opérationnelle et en liaison avec d’autres personnes détentrices d’une expertise spécifique.
Patricia Janssens
Photos : A. Schubert
Eric Haubruge, vice-recteur de l’ULg, Bernard Rentier, recteur de l’ULg, Nguyen Xuan Trach, vice-recteur de HUA, Didier Viviers, recteur de l’ULB et Vu Dinh Ton, directeur du CEIDR (HUA) lors de la cérémonie de signature le 13 mars à Hanoï