Mai 2012 /214
Mai 2012 /214

La médiation dans les établissements scolaires

Premier constat : le dernier quart du XXe siècle aurait été marqué par un « ébranlement des repères ‘’transcendants’’ transmis par la tradition », c’est-à-dire de ces valeurs non négociables, livrées à l’homme comme d’un seul bloc, sous le manteau de la Raison ou de la Révélation. Mais au tournant des années 1980, ce consensus s’évapore, laissant place à une société de la « négociation des valeurs » où celles-ci sont négociées au niveau local, « dans une relation plus horizontale, et sont des valeurs opérationnelles, des micro-valeurs produites par la pratique ». Ce constat, traduit par le Pr émérite Olgierd Kuty dans un ouvrage de sociologie encore bien connu des étudiants, mène à un second, appliqué plus spécifiquement au monde scolaire et développé avec le Pr Frédéric Schoenaers, Christophe Dubois et Baptiste Dethier dans une étude exploratoire parue au début 2012 aux Presses universitaires de Liège*.

Pluralisme normatif

Dans La médiation scolaire. Un regard des acteurs sur leurs pratiques, les chercheurs relèvent que, longtemps, le maître de classe a incarné ces valeurs peu ou prou indiscutables, imposant le savoir, administrant la sanction, disqualifiant les élèves qui n’intégraient pas ce schéma et les reléguant dès lors au marché de l’emploi ou à l’enseignement professionnel. Mais depuis la fin du siècle dernier, écrivent-ils, l’école est confrontée au « défi majeur du pluralisme normatif » : en raison, notamment, de massification scolaire, d’évolution de la structure familiale et de l’émergence d’une « culture adolescente », l’école devient – et est donc encore – le lieu d’une cohabitation de différentes normes, négociées par les plus jeunes générations dans un monde scolaire souvent vécu au contraire comme un espace figé et marqué par la non-discussion.

« Nombreux sont les jeunes qui, ayant grandi et grandissant à l’enseigne de multiples normes, regrettent la difficulté du dialogue au sein d’institutions scolaires ne sachant trop comment s’adapter à ce contexte socioculturel encore neuf, tout en continuant d’accorder de l’importance à l’expérience des anciennes générations de professeurs, et donc à la tradition », explique le Pr Kuty. A l’école, ce pluralisme normatif aurait favorisé l’émergence des “médiateurs”, maîtres d’oeuvre d’un « nouveau mode de régulation des liens sociaux » entre acteurs du monde scolaire forcés de « négocier le vivre- ensemble ».

L’étude, qui se pose comme un « rapport liminaire » sur l’état actuel de la médiation à l’école, s’appuie sur un important corpus de témoignages de médiateurs. Rassemblés par Baptiste Dethier, doctorant FNRS au Centre de recherche et d’interventions sociologiques de l’ULg, ceux-ci laissent entrevoir une profession caractérisée par un éclatement de sens, de formes et d’origines. « La prise en charge de la médiation n’est assurément pas le fait d’un acteur unique (...) qui centraliserait son organisation et sa définition ‘’institutionnelle’’. Au contraire, depuis son émergence dans le champ éducatif, plusieurs instances s’en sont emparés », écrit ainsi Frédéric Schoenaers, relevant de surcroît, pour une part, « qu’il n’existe pas de définition stabilisée et partagée unanimement par tous de ce qu’est ‘’la’’ médiation scolaire » et, d’autre part, que la médiation scolaire est marquée par une multiplicité des formes d’intervention.

Polysémie, polymorphisme, polycentrisme

« Chez certains, le médiateur est un tiers neutre, indépendant et dont le métier n’est pas d’apporter des solutions, mais d’aider les personnes à s’entendre. Chez d’autres, la médiation est perçue comme une activité plus largement dévolue à la création de lien social, à l’accompagnement des personnes sinon même au coaching, et non plus seulement à la gestion du conflit », indique Baptiste Dethier. La légitimité de la médiation comme dispositif n’est elle-même pas encore acquise au sein des établissements : « Le médiateur arrive sur un terrain où certains acteurs entendent préserver un fonctionnement qu’ils estiment légitime. D’autres, au contraire, sentent l’évolution. Sur quoi débouchera cette tension ? Espérons qu’elle ira dans le sens d’un soutien au pluralisme normatif, à la faveur de nouvelles alliances entre acteurs du monde scolaire », conclut le Pr Kuty.

Patrick Camal

Article complet "La médiation scolaire" sur le site Reflexions (rubrique Société/sociologie).

* O. Kuty, F. Schoenaers, Ch. Dubois et B. Dethier, La médiation scolaire. Un regard des acteurs sur leurs pratiques, coll. “Essai”, Presses universitaires de Liège, Liège, 2012.

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