Juin 2012 /215
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Quand les chercheurs s’intéressent aux jeux

GoQuestion : quel est le point commun entre le jeu de Nim, celui de “pierre-papier-ciseaux” et les jeux vidéo ? Réponse : ils captivent les mathématiciens ! La preuve par trois à l’occasion d’un Doc’café le 19 juin prochain à la brasserie Sauvenière (voir ci-dessous).

Spécialiste des mathématiques “discrètes”– celles qui, par opposition aux structures continues, ne regardent que les nombres entiers –, le Pr Michel Rigo (faculté des Sciences) s’intéresse particulièrement aux jeux dits “combinatoires” comme le jeu de Nim et le jeu de Go, dans lesquels le hasard n’intervient pas. « Chaque partie se joue à deux, tour à tour. Il s’agit très souvent de prendre des objets selon des règles précises qui empêchent notamment de revenir à une position initiale. La partie se termine lorsqu’un joueur ne peut plus jouer et devient, dès lors, le perdant », explique le chercheur.

Stratégie gagnante

Au-delà du caractère ludique, c’est au raisonnement que les chercheurs s’attachent afin, par exemple, d’apporter une réponse à la question essentielle suivante : existe-t-il une stratégie gagnante pour que, quel que soit le coup joué par l’adversaire, elle offre la victoire ? Dans l’équipe du Pr Rigo, à ce propos, Anne Lacroix prépare un doctorat sur la numération. « Il y a plusieurs façons d’écrire un nombre, nous apprend-elle. Parfois, une écriture spécifique permet de mettre en évidence une stratégie gagnante. » Ses recherches peuvent avoir des applications très diverses : tant en théorie des jeux qu’en vérification des programmes informatiques. Bâtir un ensemble cohérent de théorèmes, c’est-à-dire élaborer des propositions qui peuvent être mathématiquement démontrées, est l’objectif ultime de sa thèse.

Des théorèmes sont donc utilisés dans les jeux ? Oui ! C’est notamment le cas du jeu de Nim qui peut être analysé à partir d’un théorème de Bouton. « Les jeux combinatoires sont un moyen de faire de bonnes mathématiques, expose le Pr Rigo, par ailleurs coordinateur de l’antenne liégeoise “Maths à modeler”*. D’une part, ils sont une source de phénomènes et de problèmes nouveaux et, d’autre part, ils sont le champ d’application d’autres branches des mathématiques. » Plus généralement, des théorèmes en lien avec les mathématiques discrètes sont présents dans notre quotidien. « Effectivement, reprend patiemment le professeur. Un théorème de Fermat, au début du XVIIe siècle, traite de la théorie des nombres et est utilisé quotidiennement aujourd’hui pour sécuriser des millions de transactions électroniques sur internet. Dans la même veine, un théorème d’algèbre linéaire d’Oskar Perron, datant de 1907, est à la base de moteurs de recherche comme Google. »

Jeu1Les jeux de hasard (poker, casino, cartes, etc.) ne sont pas du tout régis par les mêmes lois… justement parce que la variable “incertitude” y est majeure. Ils sont dès lors objet de toutes les attentions et au coeur des préoccupations de nombreux centres de recherche. Prix Nobel d’économie en 1994, John Forbes Nash a émis un “concept de solution” dans lequel l’équilibre entre plusieurs joueurs, connaissant leurs stratégies réciproques, est devenu stable parce qu’aucun ne modifie sa stratégie sans affaiblir sa position personnelle. D’après sa théorie, le jeu “pierre-papier-ciseaux” connaît un point d’équilibre, avec une probabilité 1/3 pour chacune des trois possibilités.

Mais quelle stratégie adopter devant une table de casino ? David Lupien Saint-Pierre, ingénieur, assistant au département informatique de la faculté des Sciences appliquées, aimerait apporter des éléments de réponse. Grand amateur de jeux vidéo, ce chercheur, qui a travaillé quelques années dans une entreprise canadienne, y a perçu l’importance de l’aléatoire. « Chaque jour, les managers doivent prendre des décisions de façon rapide, relate-t-il. Comment développer son entreprise ? Faut-il se recentrer sur l’opérationnel ? Amplifier le marketing ? Investir dans la formation du personnel ? Cette situation s’apparente à celle des jeux de stratégie dans la mesure où les décisions se prennent dans un contexte d’incertitude (relative). »

Aide à la décision

Plus le jeu est subtil, plus la stratégie à mettre en oeuvre est exigeante. « Si jouer aux échecs est complexe, reprend David Lupien Saint-Pierre, les jeux de société type – Stratego ou Risk – le sont plus encore, sans parle des jeux qui combinent plusieurs niveaux d’informations avec des éléments cachés… » Et l’informaticien de tenter de trouver l’algorithme qui permettrait de fournir “la meilleure réponse plausible”. Un outil d’aide à la décision en quelque sorte, lequel, en quittant la sphère du jeu, serait d’une grande utilité dans la vie professionnelle.

« Etudier les jeux, c’est toucher à l’universel, s’enthousiasme David Lupien Saint-Pierre. Intemporel, le jeu est présent sur tous les continents et séduit tour le monde. Comme la musique, son langage est universel. A mon sens, il constitue aussi une forme d’art et, s’il est un excellent vecteur d’apprentissage, il est aussi source d’amusement… »

Patricia Janssens

* “Math à modeler” est une initiative grenobloise. Elle a l’ambition de vulgariser les mathématiques et d’initier les élèves (de l’enseignement secondaire supérieur principalement) à la démarche scientifique au travers de situations ludiques inspirées de problèmes de recherche en mathématiques discrètes. Le Pr Michel Rigo est l’actuel coordinateur de l’antenne liégeoise.
Informations sur le site http://discmath.ulg.ac.be

A vous de jouer !

Le mardi 19 juin à 20h, Doc’café à la brasserie Sauvenière, place Xavier Neujean, 4000 Liège.

Avec la participation de trois doctorants : Sara Decoster (Langues et Lettres), Anne Lacroix (Institut de mathématiques) et David Lupien Saint-Pierre (Institut Montefiore). En partenariat avec l’ARD, Réjouisciences et le département des relations extérieures et communication de l’ULg.

Contacts : tél. 04.366.56.96, courriel sciences@ulg.ac.be, site www.ulg.ac.be/sciences

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