La Belgique s’est engagée dans une lutte plus efficace contre la fraude fiscale et sociale, laquelle prive l’Etat d’une part significative des recettes qui lui sont dues. Or un groupe de chercheurs issu de la KU Leuven, de l’ULB et de l’ULg vient de publier les résultats d’une enquête, réalisée en 2010 à la demande du gouvernement fédéral, sur les activités frauduleuses des Belges, leurs opinions et leurs motivations. L’enquête pilotée par le Pr Sergio Perelman et Jérôme Schoenmaekers*, assistant à HEC-UL g, laisse entrevoir que l’économie souterraine serait beaucoup plus importante en Belgique qu’on ne l’admettait jusqu’à présent.
Soigneusement préparée, l’enquête, pour de nombreuses raisons notamment budgétaires, n’a pu être réalisée comme prévu. Elle a dû se limiter à un échantillon de 246 répondants, soumis à une interview orale approfondie, en face à face. Cette limitation ne compromet cependant pas le contenu et la qualité de l’instrument de recherche : les scientifiques ont pu formuler des observations éclairantes à l’issue de l’étude, baptisée “SUBLEC” pour Survey on the black economy, enquête sur l’économie souterraine. Elle ne se limite pas au travail au noir et à la fraude aux cotisations sociales, mais couvre également la tricherie aux allocations et à toutes les formes possibles de fraude sociale. Son objectif : informer les responsables politiques de l’ampleur du phénomène et formuler des recommandations pour le juguler.
Il en résulte que 38,8% de la population belge ont acheté un bien ou un service au noir pendant l’année qui précédait l’étude. Ce pourcentage est bien plus élevé que celui fourni par l’Eurobaromètre. Mais ce n’est pas tout : dans cette étude, l’offre de travail au noir est également nettement supérieure. Pas moins de 14,1% des répondants ont en effet admis avoir travaillé au noir, contre seulement 6% des Belges dans l’Eurobaromètre. Outre cela, 2% des salariés déclarent avoir déjà été payés sous la table ; 5,6% des allocataires admettent que l’allocation qu’ils perçoivent ne correspond pas tout à fait à ce à quoi ils ont droit, tandis que 4,3% des allocataires combinent leur allocation avec du travail au noir. En outre, 24% des contribuables reconnaissent que leur déclaration fiscale n’est pas totalement correcte. Mais les chiffres sont donc systématiquement plus élevés lorsque l’on demande aux répondants s’ils “connaissent quelqu’un” qui commet l’un ou l’autre type de fraude. La fraude réelle serait donc bien plus étendue que la fraude avouée…
Quels sont les facteurs qui déterminent le comportement frauduleux ? Le fait d’être bénéficiaire d’une allocation sociale (chômage, retraite, etc.) a un impact négatif sur la demande et sur l’offre de travail au noir. C’est l’inverse de ce qui est généralement attendu. Les indépendants, quant à eux, semblent relativement plus demandeurs de travail au noir. En revanche, ils ne se presseraient pas particulièrement pour en proposer, et ils ne seraient pas non plus les champions toutes catégories de la fraude fiscale, contrairement aux opinions répandues à leur propos.
Interrogés sur les causes du travail au noir, les répondants mentionnent presque exclusivement la pression fiscale, et donc l’avantage de s’y soustraire. Quant aux mesures les plus efficaces pour lutter contre la fraude, ils évoquent aussi le contrôle, le risque d’être pris et les sanctions qui en découlent. Les décideurs politiques peuvent en déduire qu’il ne suffirait pas de réduire la pression fiscale, car la population s’attend aussi à un système de contrôle adéquat.
A la question de savoir ce qui inciterait les répondants à acquérir les produits ou services dans le circuit officiel, la moitié répond qu’ils se laisseraient convaincre par les garanties contre les défauts et les vices : voilà le départ possible d’une campagne contre le “noir”, pensent les chercheurs. Sur la base des résultats fournis par cette étude, ils estiment que le moment est venu de mener une enquête à plus grande échelle. Ils admettent que la méthode qu’ils proposent est coûteuse, mais ajoutent qu’une enquête ainsi réalisée ne devrait pas être répétée chaque année. De quoi convaincre les pouvoirs publics ?
Jacques Gevers
Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/économie)
* Jozef Pacolet, Sergio Perelman, Frederic De Wispelaere, Jérôme Schoenmaekers, Laurent Nisen, Ermano Fegatilli, Estelle Krzeslo, Marianne De Troyer, Sigrid Merckx, Social and fiscal fraud in Belgium. A pilot study on declared and undeclared income and works: SUBLEC, Acco, Leuven, 2012.