Juin 2012 /215

Catherine de Médicis, Jeanne d’Arc, Marguerite de Bavière et les autres

Il serait doublement inexact de penser que le Moyen Age fut, coincé entre une auguste Antiquité et une providentielle Renaissance, une tranche de l’histoire exclusivement ténébreuse et brutale où, au milieu d’hommes puissants, les femmes se bornaient silencieusement à l’enfantement pour des trônes divers. « Bien que la guerre y soit très présente, la société médiévale est infiniment plus complexe et raffinée que celle que nous livrent les clichés d’une certaine vulgarisation manichéenne, s’exclame Alain Marchandisse. Il s’agit d’une société créative qui, en milieu curial, vit dans la musique, la poésie et le théâtre. Elle est par ailleurs animée par une vraie philosophie politique qui octroie aux femmes des rôles variés », ajoute Jonathan Dumont.

37 profils

Surprenant. Il est vrai que, depuis le XIVe siècle en particulier, le “modèle français” excluait toute éventualité de voir une femme accéder au trône de France. Pourtant, à lire le livre Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Age et au cours de la première Renaissance, codirigé par Eric Bousmar (Saint-Louis Bruxelles), Jonathan Dumont (FNRS-ULg), Alain Marchandisse (FNRS-ULg) et Bertrand Schnerb (Lille 3)*, la réalité du pouvoir à l’intérieur même du royaume semble moins binaire. L’ouvrage examine le profil de 37 femmes de pouvoir emblématiques qui se sont particulièrement distinguées par leurs interventions répétées et délibérées dans les affaires d’Etat.

« De manière générale, précise Alain Marchandisse, les femmes émergent tout spécialement lorsqu’un pouvoir masculin disparaît : parce qu’il n’y a pas de frère aîné, parce que le prince est parti en croisade, ou encore parce que celui-ci est mineur. » Blanche de Castille (1188-1252), par exemple, sera amenée à régenter lorsqu’elle sera confrontée à la minorité de son fils, puis à son départ en croisade. Isabeau de Bavière (1371-1435) règnera, elle, dès lors que son époux, le roi de France Charles VI, sera frappé, de façon périodique, par des crises de folie. Il s’agit, le plus souvent, selon la formule de Colette Beaune, médiéviste et professeur à Nanterre, d’un pouvoir “au nom de”, de la même manière que le roi gouverne au nom de Dieu et que le chevalier brandit l’épée au nom du seigneur.

Alain Marchandisse consacre un chapitre à Marguerite de Bavière (1363-1424), épouse de Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Celui-ci, tenu de se déplacer en personne dans ses principautés, avait estimé devoir incarner son autorité soit là où il n’était pas présent lui-même, soit dans la personne de son fils aîné Philippe de Charolais (futur Philippe le Bon), soit dans celle de son épouse, Marguerite de Bavière, “représentante permanente, dans les principautés méridionales, d’un duc de Bourgogne constamment occupé ailleurs et, à ce titre, (...) en mesure d’exercer l’ensemble de ses pouvoirs”, aux dires de l’auteur. Bien qu’entourée d’un cercle de conseillers, Marguerite de Bavière ne prend pas moins, “de maîtresse manière”, un certain nombre de dispositions administratives et militaires qui, posées tantôt officiellement, tantôt tacitement, ne seront pas sans conséquences politiques, quoique toujours en cohérence avec la démarche politique menée par le duc.

Success stories, ou presque

Femmes de pouvoir, femmes politiques ne se résume pas, cependant, à une collection de success stories, même si, confessent Jonathan Dumont et Alain Marchandisse, les sources documentaires ont tendance à « faire mieux connaître les vainqueurs, à magnifier les histoires glorieuses tout en laissant dans l’ombre les carrières qui le sont beaucoup moins ». Sur les 37 trajectoires de femmes politiques abordées ici, dont certaines font figure de modèle – Jeanne d’Arc et Isabelle la Catholique viennent évidemment à l’esprit et font ici chacune l’objet d’une contribution, sans qu’elles n’occultent pour autant l’épaisseur politique d’une Catherine de Médicis ou d’une Anne de Beaujeu –, sept sont des échecs plus ou moins retentissants, c’est-à-dire, si l’on suit l’avis de Colette Beaune, des cas d’impopularité ou d’impossibilité de conserver ou de transmettre le pouvoir. Au rang de ces femmes politiques tenues en échec figurent Isabeau de Bavière, Marguerite de Clisson, ou encore Jacqueline de Bavière (1401-1436).

Qu’elles aient ou non choisi d’exercer le pouvoir, et qu’elles l’aient fait avec des succès relatifs, ces femmes n’en sont pas moins « trop peu étudiées » selon les deux chercheurs. Le volume gros de 650 pages, sobrement intitulé, apporte donc un éclairage bienvenu sur ces reines et régentes que furent les Catherine de Médicis, Jacqueline de Bavière, Marguerite de Bourgogne et autres Isabelle de Castille.

Patrick Camal

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/histoire)

* Eric Bousmar et al. (dir.), Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Age et au cours de la première Renaissance, De Boeck, coll. “Bibliothèque du Moyen Age”, n°28, Bruxelles, 2012.

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