Septembre 2012 /216
Septembre 2012 /216

L’orientation scolaire à la loupe

BiblioLa rentrée scolaire est un moment propice pour relancer les grands chantiers éducatifs. Non soumis aux échéances d’une clôture de fin d’année, les acteurs de l’école sont en effet plus enclins à réinterroger les questions et les enjeux essentiels du champ scolaire. En Belgique francophone, un des sujets qui réapparaît continuellement dans l’espace public est la question de l’orientation vers l’enseignement de type qualifiant. En réaction à un processus identifié à de la “relégation”, de nombreuses mesures ont été prises, mais sans une connaissance qualitative approfondie du fonctionnement de l’orientation. Il semble pourtant capital de comprendre en détail les mécanismes de l’orientation scolaire si l’on souhaite améliorer un processus qui déchire autant les passions.

L’observation longue indique pourtant que l’orientation scolaire n’est pas un espace univoque, mais un champ où s’affrontent et s’opposent des registres symboliques distincts. Ainsi, les réformes qui visent à accorder davantage de place aux élèves dans les choix d’orientation sont appropriées différemment selon les classes sociales. Si la notion de “projet” de l’élève promue dans les politiques éducatives est aujourd’hui au coeur des dispositifs formels d’orientation, elle ne trouve pas des échos similaires auprès de tout un chacun. “Le projet personnel” de l’élève, comme rapport tout autant stratégique et calculateur qu’orienté vers le futur et l’individualité de l’enfant, est particulièrement apprécié et donc mobilisé par les enseignants ; il occupe une place privilégiée dans les stratégies de reproduction d’orientation des classes moyennes.

Le projet, tel qu’il est promu par les enseignants, se différencie de l’attitude des familles de classes populaires. Certaines de leurs logiques d’orientation se réfèrent à la sociabilité directe et l’intérêt pour le moment présent : soit choisir une école pour la présence des frères et soeurs, soit la sélectionner pour la proximité avec le domicile familial. Les enseignants méconnaissent ces logiques qui président aux choix d’orientation de certains jeunes de classes populaires. Ces choix, qui reposent sur d’autres références symboliques que les leurs, sont considérés par eux comme des “non-choix”, faisant du processus d’orientation vers l’enseignement de type professionnel une orientation négative ou une “relégation”. Plus encore, en structurant leurs pratiques d’orientation sur leurs propres représentations, ils contribuent à ce que certains jeunes de classes populaires délaissent l’enseignement général et s’orientent vers l’enseignement qualifiant. Or, la compréhension des logiques d’orientation de ces élèves est essentielle si l’on vise à faire participer chaque élève à sa propre trajectoire d’orientation.

“Stratégies de reproduction
des établissements
au coeur de l’orientation”

L’orientation est donc un espace structuré par des conflits symboliques. Cela permet de comprendre qu’elle peut déboucher sur des stratégies de reproduction de la position des établissements scolaires dans la hiérarchie scolaire. En effet, un grand nombre de décisions des conseils de classe reposent sur des critères implicites qui sont liés à la culture des établissements. Par exemple, la distribution des attestations restrictives et des attestations d’échec ne correspond pas de manière systématique aux notes scolaires. Les acteurs institutionnels établissent, en effet, leurs évaluations et leurs décisions en se référant autant à la manière d’être, au langage, aux attitudes du corps et à la culture de leurs élèves qu’à leurs performances scolaires. Cette part de l’évaluation que j’ai observée dans tous les conseils de classe auxquels j’ai assisté (plus d’une centaine) renvoie à l’origine sociale des intéressés et s’opère à partir de la connaissance que les acteurs institutionnels ont de leur école, de son image et de sa culture (« cette élève-là, elle n’a pas le style d’ici, elle serait mieux là-bas ! »). Malgré les réformes et malgré les constats dressés par les sociologues depuis les années 1960, au-delà des volontés conscientes d’assumer ou de transformer positivement la réputation de leur école, les acteurs institutionnels participent ainsi largement, mais implicitement, à l’équilibre de la structure scolaire et à la reconduction des inégalités en cours dans la société.

A ce niveau, l’ouverture des conseils de classe aux parents et aux élèves par le biais de représentants serait bénéfique. Cette ouverture à des acteurs extérieurs “non-initiés” à la culture des établissements pourrait amener les agents institutionnels à expliciter leurs critères de décision. L’éviction d’élèves en raison de leur non-conformité à la culture de l’établissement pourrait être réduite, à supposer que les représentants des parents et des élèves reflètent la diversité des parents et des élèves. Cela ne va pas de soi car, dans certaines écoles, les conseils de classe sont “pilotés” de l’extérieur par des familles très investies, souvent originaires des franges supérieures de la hiérarchie sociale et qui veillent avec vigilance au maintien de la “qualité” de l’établissement. Cependant, cette ouverture et la nécessité qu’elle reflète la diversité sociale s’avèrent essentielles dans une société démocratique !

Géraldine André
chargée de recherches FNRS à l’Institut des sciences humaines et sociales

Article sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/pédagogie)

Géraldine André, L’orientation scolaire. Héritages sociaux et jugements professoraux, Presses universitaires de France, Paris, 2012.

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