Les bestioles les plus sympas peuvent décidément s’avérer… de véritables pestes. C’est le cas de la coccinelle asiatique (Harmonia axyridis), utilisée autrefois chez nous dans les serres pour combattre les pucerons. Aujourd’hui, plus d’une dizaine d’années après qu’on ait commencé à la retrouver bien loin des serres, libérée dans la nature, elle a pris l’habitude d’envahir l’intérieur des habitations où elle s’accumule en grappes pendant la mauvaise saison.
Nuisances et allergies
On connaît, bien sûr, des invasions d’insectes plus désagréables que celle-là… Sauf que ces bêtes à Bon Dieu, reconnaissables à leur grande taille* (8 mm au lieu de 5) se regroupent parfois par centaines, voire par milliers d’individus, formant de véritables agrégats. Dérangées, elles émettent à l’occasion une substance jaunâtre à l’odeur nauséabonde qui peut aussi maculer le linge, les tentures et les interstices où elles aiment se loger, pendant que leur métabolisme fonctionne au ralenti.
Mais il y a plus gênant. Dans certains cas, la substance dégagée peut déclencher des allergies : rhinites, conjonctivites, asthme, etc. De plus, dans la nature, Harmonia axyridis entre en compétition avec les autres espèces de coccinelles – indigènes celles-là – dont elle adore dévorer les larves. Les spécialistes appellent ce phénomène la “prédation intraguilde”. Enfin, on a observé, en France notamment, qu’elle se glisse dans les récoltes de raisin et finit par altérer le goût du vin. A l’heure où se développent les vignobles en Wallonie, il y a là de quoi se préoccuper de cette expansion quasiment incontrôlée.
Incontrôlée, vraiment ? A l’heure actuelle, oui. Colmater les brèches et les fissures de nos habitations ne sert à rien. Quoi qu’on fasse, ces indésirables y pénètrent et parviennent ainsi à surmonter les hivers les plus rigoureux. Personne n’a réussi, à ce jour, à mettre au point des pièges spécifiques à coccinelles asiatiques : une tâche bien difficile puisqu’il s’agit, d’une part, de ne pas faire usage de produits toxiques pour l’homme et, de l’autre, ne pas s’en prendre aux autres espèces de coccinelles, bien utiles aux écosystèmes naturels et aux jardins.
Cet objectif de piégeage est pourtant bel et bien visé, à terme, par l’unité d’entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech. Une étape importante vient d’être franchie dans la compréhension des moeurs de l’encombrante bestiole. Après avoir prélevé une vingtaine d’agrégats hivernaux chez des particuliers, Delphine Durieux et ses collègues de l’unité d’analyse, qualité et risques au sein du laboratoire de chimie analytique notamment, ont réussi à mettre en évidence l’utilisation d’hydrocarbures par la coccinelle asiatique pour marquer leur site d’hivernation. Ces molécules non-volatiles proviennent très probablement d’un transfert passif de la cuticule des insectes vers le support. Pour être reconnues par les petits coléoptères, ces molécules doivent avoir été goûtées par ceux-ci (probablement par les pièces buccales, mais ceci reste à prouver). La doctorante et ses collègues ont remarqué que la proportion d’hydrocarbures insaturés dans les marquages abandonnés par les coccinelles est plus importante autour des agrégats que sur les lieux mêmes des rassemblements.
Bien que cette découverte soit une première en ce qui concerne les coccinelles, il ne s’agit là que d’une étape. « Le rôle des hydrocarbures insaturés doit encore être confirmé et affiné, explique la jeune chercheuse. Il faut identifier avec précision les molécules responsables des comportements observés et s’intéresser aux molécules volatiles, l’association de celles-ci aux pièges étant essentielle pour attirer les insectes à distance. » Les scientifiques ne partent pas de rien : ils savent déjà, par exemple, que des éléments visuels peuvent contribuer à expliquer le choix des édifices privilégiés par les insectes pour leurs rassemblements hivernaux. Ainsi, Harmonia axyridis semble attirée par des éléments proéminents dans le paysage, se détachant clairement sur l’horizon : montagnes, collines, bâtiments imposants, maisons isolées, etc.
Solution d’urgence
En attendant la mise au point des pièges, les particuliers qui estiment nécessaire de s’en débarrasser en sont réduits à aspirer les coccinelles asiatiques et les placer au congélateur (les jeter dehors ne résout rien : elles reviennent !). En prenant soin, toutefois, de faire le tri entre Harmonia axyridis et les autres espèces. Ce travail de bénédictin a au moins l’avantage de ne pas tuer les coccinelles qui n’ont rien d’envahissant. Celles-là même qui sont menacées par leurs “cousines” asiatiques…
Philippe Lamotte
article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant/zoologie)
* Cette plus grande taille est toutefois la caractéristique, également, d’une coccinelle non invasive, la coccinelle à sept points, toujours rouges à sept points noirs. L’asiatique, par contre, peut être rouge, jaune-orange, voire noire et présenter un nombre de points