Décembre 2012 /219
Décembre 2012 /219

La perception de la construction européenne

MichelQuentinAvec le recul, on a le sentiment que l’établissement de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca) et de la Communauté économique européenne (CEE ) ont constitué l’aboutissement d’un élan enthousiaste pour la construction européenne entre les gouvernements et les populations des Etats membres fondateurs. A l’image de ces livres d’histoire qui relatent les faits d’armes de leaders charismatiques ou de découvertes scientifiques qui eurent une importance considérable sur l’histoire des nations ou sur l’évolution de la science mais qui, au moment de leur avènement, se produisirent dans la quasi indifférence des populations concernées.

Certes, la Ceca et la CEE ont marqué le point de départ de la construction européenne mais, si la ratification des traités obtint de larges majorités au sein des assemblées parlementaires des pays membres du Benelux, ces ratifications s’avérèrent beaucoup plus délicates pour la France, l’Allemagne et l’Italie où une fraction non négligeable des parlementaires s’y opposa.

Bien que notre mémoire collective ait conservé vivante la mise en échec par la France gaullienne de la Communauté européenne de défense, peu nombreux sont ceux qui se souviennent de l’accouchement difficile de la Ceca et de la CEE. Les raisons de cette pposition initiale d’une partie des parlementaires allemands, français et italiens s’inscrivaient pour l’essentiel dans une logique transnationalede partis. Ainsi, les élus communistes des six Etats fondateurs s’étaient opposés à la ratification de ces traités, estimant qu’ils instauraient un instrument belliciste et impérialiste américain dirigé à la fois contre les intérêts sociaux des travailleurs et contre les pays membres du pacte de Varsovie. Limiter toutefois les oppositions aux seuls élus communistes serait réducteur.

De façon générale, les ratifications successives des traités d’adhésion à l’Union européenne par les nouveaux États membres n’ont pas toujours suscité ni l’enthousiasme des parlementaires nationaux, ni celui de leur population. On pourrait être tenté de mettre en corrélation cet engouement relatif avec la capacité de contribution de l’Etat candidat au budget de l’Union européenne ou plus simplement avec les avantages potentiels, notamment financiers, qu’il escompte retirer de son entrée dans l’Union. Mais à l’analyse, ce lien n’est pas démontré.

De plus, limiter l’enthousiasme de l’adhésion à la seule perspective de bénéfices potentiels serait, à l’évidence, trop réducteur aussi. Il existe des facteurs liés à l’histoire et à la politique de l’Etat concerné qui interfèrent de manière plus ou moins déterminante dans la décision de ratification. Ainsi, les réticences du Royaume-Uni peuvent s’expliquer également par la crainte d’une perte de souveraineté, par les relations difficiles avec la France gaullienne, par le souci de privilégier les liens transatlantiques et enfin par la préférence pour la mise en place de structures internationales plus larges et plus souples n’instaurant pas d’organes décisionnels supranationaux.

De façon générale, l’adhésion à l’Union européenne est à l’image de sa diversité : un kaléidoscope d’enthousiasmes et de scepticismes de la part des États et de leurs populations. Les tendances exprimées lors de l’adhésion vont, soit se maintenir, soit légèrement fluctuer au fil des ratifications, mais sans connaître de bouleversement majeur. Toutefois, lorsqu’un État modifie sa procédure de ratification en introduisant un référendum, comme aux Pays-Bas pour la ratification du Traité constitutionnel européen, sans s’appuyer sur un soutien parlementaire unanime, le risque de rejet est particulièrement élevé. Peuvent en outre être cités les référendums organisés en France pour le Traité de Maastricht et le Traité constitutionnel européen. Le premier a été ratifié avec une courte majorité de la population malgré le soutien actif de l’ensemble des principales formations politiques. Le second a divisé les principales formations politiques, en particulier à gauche, entre adversaires et partisans de la ratification pour être, finalement, rejeté par la population.

Autre constat, il n’y a échec de la ratification que si celle-ci se fait par voie référendaire (Norvège, Danemark, Irlande, France, Pays-Bas), ce qui n’est sans doute pas une surprise. En effet, le recours à la consultation de la population a toujours eu pour effet de raviver les passions politiques. De plus, lorsque les Etats ont recouru à la double ratification – par voie référendaire et par voie parlementaire – ou ont abandonné la première option, l’opposition à la construction européenne dans leurs assemblées parlementaires ne fut pas équivalente à celle atteinte à l’occasion des référendums. Ainsi, lors de leur adhésion, l’Autriche, la Finlande et la Suède procédèrent à la double ratification du traité d’adhésion et les résultats entre les deux procédures présentèrent un écart significatif, le soutien parlementaire à l’adhésion étant plus large. De façon générale, les oppositions parlementaires au sein des assemblées nationales restent, pour tous les Etats membres, contenues à un maximum de 30% de votes défavorables, le Royaume-Uni présentant le niveau constant le plus élevé d’opposition.

De ce constat, on ne peut guère tirer de conclusion générale, sauf admettre que la construction de l’Union européenne n’est pas plus en crise aujourd’hui qu’elle ne le fut hier. Elle est un processus en constante évolution visant à préserver ce qui unit ses peuples, à savoir la diversité.

Quentin Michel
professeur au département de science politique (études européennes)

Quentin Michel, Maxime Habran, Sylvain Paile, David Stans, La construction européenne : entre idées reçues et faux-semblants, Presses universitaires de Liège, Liège (à paraître).

Facebook Twitter