Décembre 2012 /219
Décembre 2012 /219

De la vie intime des poissons-clowns

AmphiprionLes poissons-clowns (29 espèces connues) se rencontrent dans les récifs coralliens de l’océan Indo-Pacifique, où ils vivent par groupes en symbiose avec une anémone de mer. La vie au “village” est assez particulière. Et pour cause : la femelle contrôle le changement de sexe ! Si elle vient à disparaître, son compagnon attitré, le mâle dominant, se mue en femelle. Et cela entraîne une révolution de palais. En effet, autour du “couple légitime” gravite un petit nombre de poissons immatures (quatre ou moins suivant les espèces) dont les gonades ne sont pas encore sexuellement fonctionnelles. Hiérarchisés sur la base de leur taille respective, ces individus attendent leur tour dans la file, prêts à gravir les échelons qui, au gré des disparitions de congénères, les conduiront à la reproduction en tant que mâles dominants, puis en tant que femelles.

Un comportement caractéristique

Comme le précise Orphal Colleye, assistant au département de biologie, écologie, évolution en post-doc au laboratoire de morphologie fonctionnelle et évolutive (ULg), les poissons-clowns sont des hermaphrodites protandres. « En d’autres termes, dit-il, ils ont pour caractéristique de devenir fonctionnellement mâles avant de se transformer ultérieurement en femelles. »

Dans des travaux publiés en novembre 2012 par la revue PLoS One, Orphal Colleye a abordé la question de la communication chez les poissons clowns en s’intéressant à la manière dont étaient régies les interactions entre les individus vivant sous un même “toit”. Effectuées au moyen d’une caméra sous-marine maintenue dans un caisson étanche et couplée à un hydrophone, ses observations eurent lieu tantôt sur le terrain, tantôt sur des groupes de poissons prélevés en milieu naturel au Japon, avec leur anémone, et placés ensuite en aquarium.

Que découvrit le biologiste de l’ULg ? La présence, à côté des sons d’agression précédemment étudiés, de sons de soumission dont la production est accompagnée d’un comportement caractéristique que les spécialistes qualifient de “headshaking”. « En clair, le poisson subordonné se place de côté par rapport au dominant, lui offre son ventre en guise de soumission et frétille de la tête et du corps, ce qui engendre une onde vibratoire qui démarre au niveau de la tête avant de se poursuivre le long du corps du poisson », indique Orphal Colleye.

Selon lui, les signaux acoustiques d’agression et de soumission pourraient remplir un rôle primordial dans le mode de vie des petits groupes de poissons-clowns partageant la même anémone de mer. Non seulement les interactions d’agression et de soumission se révèlent extrêmement fréquentes dans ces groupes, mais il apparaît également que les sons tant d’agression que de soumission sont fonction, en termes de fréquence et de durée de son, de la taille du poisson émetteur. Plus un poisson est grand, plus la durée des sons qu’il émet est longue et plus leur fréquence est basse. Autrement dit, ils sont le reflet de la hiérarchie en vigueur dans le groupe.

En principe, chacun sait donc “à l’oreille” à qui il a affaire. Et il est probable, selon l’analyse d’Orphal Colleye, que les signaux sonores agressifs émis par un individu hiérarchiquement supérieur à destination d’un subordonné et les signaux de soumission produits en retour par ce dernier aient pour but d’éviter des confrontations qui pourraient nuire à l’intégrité physique des “belligérants”. Dans une étude parue en 2011 dans la revue BMC Evolutionary Biology*, Orphal Colleye avait comparé les sons d’agression chez 14 espèces de poissons-clowns. Aucune différence ! A nouveau, seule la taille des individus, toutes espèces confondues, apporte une nuance (durée et fréquence du son) permettant de les discriminer à partir de leur production sonore.

Silence dans la chambre

Dans l’étude publiée par PLoS One, le chercheur a également observé que, durant leur reproduction, les poissons-clowns demeurent “muets”. Pourquoi les congénères de Nemo se taisent-ils durant ces moments cruciaux ? Sans doute parce que le groupe est totalement hiérarchisé, que seul le mâle dominant a la possibilité de féconder les oeufs déposés par la femelle après le jeu des parades nuptiales. Bref, il “jouerait à l’économie”. « C’est en tout cas mon hypothèse, indique Orphal Colleye. Chez les poissons-clowns, le couple peut perdurer plusieurs années. Aussi le mâle n’a-t-il plus vraiment besoin de séduire la femelle. »

Philippe Lambert

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant/biologie)

* Colleye O., Vandewalle P., Lanterbecq D., Lecchini D., Parmentier E. 2011. Interpsecific variation of calls in clownfishes: degree of similarity in closely related species. BMC Evolutionary Biology 11 : 365.

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