Décembre 2012 /219
Décembre 2012 /219

Dans la jungle des trahisons, une exposition

TarzanTarzan, le seigneur de la jungle, a 100 ans. Héros du romancier américain Edgar Rice Burroughs, il connaît rapidement un succès international, profitant du développement fulgurant des médias du début du siècle passé. Edition populaire, presse illustrée, radio, télévision, bande dessinée et, bien sûr, cinéma s’emparent de ses aventures. A l’occasion de l’exposition qui s’ouvre à la Bibliothèque des littératures d’aventures, retour sur les multiples incarnations – et trahisons – de l’homme-singe au cinéma.

Muscle et glamour

Au début (1912), les maisons de production se montrent peu enthousiastes. Burroughs offre les droits de son premier livre à son ami William Parsons, avec pour mission de créer une société de production et de transformer le projet en réalité. Celui-ci (malgré l’opposition de l’écrivain) fixe son choix sur Elmo Lincoln, un comédien à la notoriété naissante, qui a déjà travaillé avec Griffith. Mais l’acteur, loin d’être un athlète accompli, craint les animaux et souffre de vertige… La presse ne ménagea pas la production. L’acteur est moqué pour sa lâcheté mais Tarzan of the Apes fut un triomphe.

Dans les années 1930, la MGM s’intéresse au héros et William S.Dyke, vieux routier du récit d’aventure, est aux commandes. Clark Gable est évoqué, mais repoussé pour insuffisance musculaire. Le nom de Johnny Weissmuller, champion de natation (six médailles olympiques, 28 records du monde) se met alors à circuler. Pour le rôle de Jane, Joan Crawford, Jean Harlow et Greta Garbo sont envisagées. C’est finalement la jeune Maureen O’Sullivan qui emporte le rôle. Leur couple cristallisera à l’écran le glamour hollywoodien durant six films.

Tarzan the Ape Man (1932) comporte des scènes d’action d’une violence impressionnante. Le film marque aussi par son érotisme, malgré l’application du coercitif code Hays (Tarzan ne dissimule plus sa nudité que d’un simple pagne). Enfin, pour la première fois, les spectateurs peuvent entendre le cri poussé par Tarzan. Celui-ci ne sort pas de la gorge de l’acteur, mais a été créé par le technicien Douglas Shearer. Il utilise un yodel autrichien, diffusé à l’envers et en accéléré. Le film connaît un immense succès et, à ce jour, Weissmuller est sans doute encore l’acteur à qui le public identifie le plus le personnage de Tarzan (il l’incarne à l’écran 12 fois). La série gagnera encore en érotisme (l’effeuillage de Maureen O’Sullivan dans la célèbre scène de baignade de Tarzan and his Mate de Conway et Gibbons en 1934) et en violence, notamment sous la caméra de l’efficace Richard Thorpe. Jugé plus effrayant que les films d’épouvante de l’époque, Tarzan Escapes (1936) doit être remonté pour qu’il soit accessible aux enfants.

Burroughs, malgré la notoriété, est très déçu de la plupart des interprètes, mais aussi du contenu des films. Contrairement à ses romans, Tarzan y parle très mal l’anglais, les personnages secondaires sont dépourvus de fantaisie, les récits se cantonnent à la répétition d’aventures identiques, ignorant les idées fantastiques qui émaillent les livres. Enfin, l’imagerie colonialiste véhiculée l’embarrasse probablement. Il nourrit alors le projet d’une production indépendante qu’il pourrait contrôler, tout en surveillant le travail des grands studios. Il crée à cette fin sa propre société (“Tarzan Burroughs Entreprises”) et trouve en Herman Brix, champion olympique du lancer du poids, un Tarzan enthousiasmant. Le tournage de New Adventures of Tarzan est entrepris en 1934 au Guatemala. Il s’agit d’un serial en 12 épisodes mais, en dépit de son succès, Burroughs comprend qu’il ne pourra jamais rivaliser avec les moyens de production des grands studios.

La place laissée vacante par Johnny Weissmuller fut reprise par Lex Barker dans une série de films qui ne marquent ni les spectateurs ni l’histoire du cinéma. Le Tarzan des années 1980 sera incarné par le débutant Miles O’Keeff, simple faire-valoir d’une sculpturale Jane incarnée par Bo Derek devant la caméra de son époux, le réalisateur John Derek. Tarzan, the Ape Man (1981) est une nouvelle imposture pour le héros de Burroughs, la trame de base ne servant que de prétexte à une romance vaguement érotique et parfaitement kitsch filmée au Sri Lanka… Autre Tarzan de pacotille, celui de Tarzan and The Lost City (Carl Shenkel, 1997) incarné par un Casper Van Dien condamné à singer ses prédécesseurs. Même s’il ne faut pas en tirer de conclusion hâtive, Burroughs décède l’année de la sortie du film…

Proche de l’oeuvre littéraire

Présenté comme une adaptation réaliste et fidèle des aventures de Tarzan, Greystoke, de Hugh Hudson avec Christophe Lambert (1984) est aux antipodes de l’univers fantasque de Burroughs. Au risque de faire s’étrangler quelques admirateurs de Tarzan, il faut peut-être admettre que le Tarzan des productions Disney, long métrage animé de Kevin Lima et Chris Buck en 1999, compte probablement parmi les films les plus proches de l’oeuvre littéraire.

S’il fut souvent déçu ou frustré, Burroughs n’ignorait pas que le cinéma, tout en lui apportant la fortune, trahirait Tarzan. Il se doutait que son héros n’échapperait pas aux parodies (le fameux,potache et outrancier Tarzoon, la honte de la jungle de Picha en 1974 par exemple) ni aux relectures caricaturales. Mais Tarzan n’appartient plus depuis longtemps à son auteur : il appartient aux enfants, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Dick Tomasovic

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Les Seigneurs de la jungle. Tarzan et les tarzanides.

Exposition, jusqu’au 22 décembre, à la Bibliothèque des littératures d’aventures (Bila), voie de l’Air pur 106, 4052 Beaufays.

Informations sur www.bila.chaudfontaine.be et http://centre-steeman.blogspot.be

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