Marché de Noël, illuminations des villes et des façades, sapins, cadeaux… Les fêtes de fin d’année approchent ! Evénement attendu, la fête rompt avec le quotidien et le rythme l’année. Elle constitue un temps fort dans chaque société.
Deux chercheurs de l’ULg livrent leur regard sur ces traditions : Françoise Lempereur, chargée de recherche en communication, et Jordi Quoidbach, chargé de recherche au FNRS, département de psychologie (cognition et comportement), actuellement en post-doc à Harvard.
Le 15e jour du mois : Les fêtes de fin d’année approchent. Ont-elles encore un sens aujourd’hui ?
Françoise Lempereur : De moins en moins ! Le tourbillon commercial change le sens profond de la fête. Aujourd’hui, pour la plupart des gens, le lien affectif qui les liait aux traditions s’est progressivement détendu et la signification de ces traditions est de plus en plus méconnue. Une distanciation s’installe. Prenons l’exemple du sapin de Noël. Toujours vert au coeur de l’hiver, le conifère rassurait l’homme sur la certitude du retour du printemps. D’origine germanique, il est apparu chez nous au XIXe siècle mais maintenant, sa symbolique n’est plus comprise. Dès lors, certains se disent : pourquoi ne pas remplacer l’arbre par une maquette ?
Cette ignorance amène beaucoup de confusion. Quelle différence y a-t-il aujourd’hui entre saint Nicolas et son avatar, le Père Noël qui nous revient d’Amérique ? Les enfants ne comprennent plus.
Le patron des écoliers avait autrefois un rôle éthique : il récompensait les enfants sages et son accompagnateur, le Père Fouettard, punissait les autres. Maintenant, saint Nicolas est juste là pour donner des cadeaux, comme le Père Noël, et on le voit partout, surtout dans les magasins. La mercantilisation de la fête l’a appauvrie, considérablement.
Le 15e jour : La mercantilisation est-elle seule responsable ?
Fr.L. : Dans notre société de plus en plus laïque, la fête a aussi perdu son caractère sacré. Prenons le réveillon de Noël : autrefois, les gens assistaient à la messe de minuit puis partageaient un repas en famille pour célébrer la naissance du Christ. Cette fête familiale, centrée autour de la crèche et d’un repas traditionnel (pensons, à Liège, aux boûquettes et au vin chaud !), se transforme peu à peu en une soirée au restaurant sans aucune référence à la Nativité. Bientôt, le 25 décembre sera simplement un jour de congé.
Peu de gens assistent encore aux offices religieux et certains ne s’y rendent plus que pour écouter les chants de Noël (qu’ils ne connaissent plus), comme à un spectacle. Mais l’art ne remplace pas le sacré. L’intériorisation fait place à la contemplation passive. Célébrer la naissance du Sauveur… c’était autre chose !
Quant au Nouvel An, il est devenu, pour beaucoup, synonyme de paillettes et de champagne ! On souhaite toujours une “bonne année” à nos proches. Pas toujours sous le gui…
Le 15e jour du mois : Les fêtes de fin d’année approchent. Ont-elles encore un sens aujourd’hui ?
Jordi Quoidbach : Les fêtes de fin d’année constituent toujours un moment important, car elles réunissent (presque) tous les ingrédients du bonheur. Et l’on sait que l’objectif de tout le monde dans la vie, c’est d’être heureux ! La fête est synonyme de joie, de générosité, de cohésion familiale, sociale. Autant d’éléments qui participent au sentiment de félicité. Les fêtes de fin d’année revêtent aussi, pour certains, une dimension religieuse, laquelle est souvent reliée au bonheur. Des études ont montré que, dans toutes les cultures, les individus qui font partie d’une “église” sont plus heureux. Sans doute parce qu’ils font partie d’une communauté soudée basée sur l’entraide et la générosité, probablement aussi parce qu’ils sont plus enclins à manifester de la gratitude envers la vie.
La fête a donc toujours un sens dans notre société, car elle renforce la cohésion et l’homogénéité d’un groupe social et, symboliquement, elle conforte le sentiment d’appartenance à ce groupe. Fait peut-être surprenant, les recherches montrent que les fêtes de Noël rendent surtout heureux les hommes et les personnes âgées.
Le 15e jour : Qu’est-ce qui rend heureux ?
J.Q. : De nombreuses études scientifiques se sont penchées sur cette question. Manifestement, le fait de penser aux autres rend heureux. La générosité, l’altruisme sont deux composantes essentielles du bonheur. Une expérience vient d’être menée par des collègues : on a demandé à une cinquantaine d’étudiants d’indiquer leur sentiment de bonheur en début de matinée. Les participants recevaient ensuite 20 euros avec pour instructions soit de les dépenser pour se faire plaisir, soit de les dépenser pour faire plaisir à autrui. Les résultats ont montré qu’à la fin de la journée, les participants ayant dépensé l’argent pour les autres se sentaient plus heureux que ceux qui avaient dépensé l’argentpour eux. Faire plaisir est donc une source de bonheur. Ce qui explique peut-être le succès de la fête de Saint-Nicolas. Et pourtant l’ego l’emporte souvent. Nous sommes donc assez peu doués pour nous mettre sur la voie du bonheur : on se trompe de cible, on se trompe d’objectif. C’est particulièrement sensible aux Etats- Unis où les gens sont volontiers (très) matérialistes.
Et pourtant, la consommation rend moins heureux qu’on ne le pense. Le vieil adage “l’argent ne fait pas le bonheur” se vérifie : l’accumulation des richesses apporte moins de satisfaction que le partage. Peut-être parce que notre système émotionnel revient vite à l’équilibre.
Propos recueillis par Patricia Janssens