Janvier 2013 /220

Coronmeuse, un site d’une qualité exceptionnelle

FrankignoullePierreLe 22 novembre dernier, le verdict du Bureau international des expositions (BIE) est tombé comme un couperet : Liège n’aura pas l’Exposition internationale de 2017. Preuve que les pays émergents pèsent de plus en plus dans l’attribution des grands événements. Dans le contexte de marketing urbain qui confine à la compétition entre villes et régions pour accueillir grands événements ou équipements de prestige – et tous les effets positifs collatéraux attendus –, Liège semble avoir perdu du terrain dans les dernières décennies. Les plus récentes déconvenues paraissent alimenter la crainte que la ville ne parvienne même plus à peser dans son environnement régional, wallon ou francophone, et moins encore au plan international.

Après la cruelle désillusion de “Liège, capitale culturelle 2015” (imputable à un arrangement politique plus qu’à une carence intrinsèque du dossier et alors que ce projet avait recueilli l’adhésion – voire l’enthousiasme – de la population), après l’échec de l’obtention du projet de Centre sportif de haut niveau (même s’il s’avère qu’au bout du compte, il va s’agir d’un projet “croupion”), après la perte de la collection d’art contemporain de l’architecte liégeois Charles Vandenhove qui, finalement, a décidé de léguer ses oeuvres à Gand, avec les menaces qui pèsent sur la liaison ferroviaire à grande vitesse de Francfort à Londres (y aura-t-il un arrêt à Liège ou à Aix-la-Chapelle ?), on voit que la région liégeoise peine à s’imposer alors que le redéploiement wallon, selon les scientifiques, devrait s’appuyer sur une métropole rayonnante et attractive.

Devons-nous pour autant nourrir des regrets éternels à propos de la décision du BIE ? Peut-être manquons-nous d’une réflexion de fond sur la validité et l’efficacité des démarches de création d’événements. Certes, à cette occasion, se dessine un “horizon mobilisateur” qui, en catalysant les énergies vers un objectif concret, peut conforter une identité : en l’occurrence, la campagne “Je signe pour” a recueilli de très nombreuses signatures de Liégeois au sens large. Mais ne faut-il pas aussi s’interroger sur l’impact réel de tels événements et pousser l’analyse bien au-delà de la formule rituelle “C’est bon pour l’image” ?

Malgré l’échec du 22 novembre, il a été décidé de maintenir le projet de construction d’un “écoquartier” sur le site de Coronmeuse et, d’ailleurs, le marché avait été lancé en septembre, quelques semaines avant la décision du BIE. Au départ, dans la perspective de l’obtention de l’exposition, il s’agissait de concevoir des pavillons qui, après 2017, allaient pouvoir être convertis en logements et bureaux.

Au-delà du caractère “air du temps” (on imagine de moins en moins que les pouvoirs publics puissent initier un nouveau quartier qui ne serait pas “éco”), ne faut-il pas questionner l’opportunité de lancer un nouveau chantier d’envergure alors que plusieurs projets sont en souffrance depuis une quinzaine d’années ? C’est là sans doute une manifestation de cette sorte de mal endémique de l’urbanisme liégeois : le temps qu’il faut pour faire aboutir des projets. Il y a les Guillemins, où le projet urbanistique avance à petits pas, mais la nécessité de refonte du quartier suite à la construction de la nouvelle gare est connue depuis le milieu des années 1990 ; il y a Bavière, en attente d’une affectation depuis le milieu des années 1980 et, bien sûr, Droixhe qui, malgré la rénovation des tours du bord de Meuse, apparaît de plus en plus comme un quartier sacrifié. Sans parler du site du Tivoli entre les places Saint-Lambert et du Marché.

Quant à celui de Coronmeuse, qui a déjà accueilli l’exposition de l’Eau de 1939, il occupe une place bien particulière dans la configuration urbaine liégeoise. Peu habité, abritant des infrastructures d’intérêt régional (port, halle des foires, Ravel), situé sur le parcours du futur tram, il offre aussi un attrait paysager et patrimonial de premier ordre, ainsi que d’évidentes qualités d’usage.

Ce site est d’une qualité exceptionnelle : c’est un des seuls endroits où le rapport sensible au fleuve peut être ressenti et où éléments naturels et artéfacts se conjuguent pour forger une image paysagère marquante : la Meuse, le canal Albert, l’île Monsin, les collines, les terrils, la statue du roi Albert, le pontbarrage, la magnifique école reine Astrid du groupe l’Equerre – véritable “bâtiment-manifeste” du modernisme datant de 1939 comme l’ancien Palais de la ville de Liège, de l’architecte Jean Moutschen, accompagné d’ oeuvres des artistes Salle et Wansart.

Enfin, en termes d’usages, cet endroit est très fréquenté par les voisins d’en face, les “droixhiens”, qui l’utilisent pour des activités de sport et de loisir : il faudra veiller à ce que cela puisse continuer. Le recours à un partenariat public-privé pour la construction de l’écoquartier ne doit pas conduire à une privatisation du site. Tout va dépendre de la manière dont les partenaires vont négocier, le pouvoir public étant tout à fait en mesure de fixer des règles qui garantiront le caractère public du futur quartier.

Pierre Frankignoulle
chargé de cours en faculté d’Architecture

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