Janvier 2013 /220

2013 sera l’Année de l’Allemagne

A l’invitation de l’Ambassadeur d’Allemagne en Belgique, l’université de Liège organisera en 2013, intra et extra muros, une “Année de l’Allemagne”. L’occasion, indique le recteur Bernard Rentier, de « renforcer nos relations tous secteurs confondus, avec un partenaire majeur de notre pays ». Il s’agira, dans le même temps, de focaliser l’attention sur notre région, notre ville et notre Université. C’est Michel Morant, directeur de l’Interface Entreprise-Université, qui a été chargé de coordonner l’agenda événementiel, lequel devrait compter conférences, rencontres et autres colloques étalés sur l’ensemble de l’année. L’initiative tombe à point nommé. Et survient un an à peine avant le centenaire du début de la Grande Guerre. Celle-là même qui, selon le Pr honoraire Francis Balace, historien, a brisé une longue tradition germanophile en Belgique francophone, à Liège en particulier.

Influences académiques

Berlin-BookTowerUn bout d’histoire. Lorsque Guillaume Ier des Pays-Bas crée en 1817 les universités de Leuven, Gand et Liège, il poursuit deux objectifs : d’une part, liquider les reliquats de l’influence culturelle française ; d’autre part, éviter la provocation que serait la nomination trop partisane de professeurs néerlandais. « Dès la création de l’Université, il y a trois Allemands sur 13 professeurs. Et sur un total de 15 professeurs allemands enseignant à Liège au XIXe siècle, huit auront été nommés sous le régime hollandais. La grande jeunesse de ces professeurs, surtout, étonne : un tel est âgé de 35 ans, un tel autre de 31, un autre encore de 23 ans! », rappelle Francis Balace.

Parmi ces « érudits d’importation dont le goût tout germanique pour l’ordre et le travail irritait les étudiants », figurait Johann Dominicus Fuss, né à Düren et nommé en 1817 (il traduit Schiller en français et en latin) à l’université de Liège dont il deviendra Recteur en 1844. Un autre, Leopold Warnkoenig manquera, en 1826, de se faire lyncher par ses étudiants, qu’il trouvait paresseux et qu’il aurait volontiers vus, au besoin, dans le cachot qu’il souhaitait installer dans les locaux de l’Université. Ambiance !

Réfugié à Leuven, Warnkoenig proposera cependant, non seulement que l’on s’inspirât dans les universités des provinces belges du système universitaire allemand, mais également que les cours y soient donnés, non plus en latin mais exclusivement en français. Et Francis Balace de préciser à ce propos : « Le modèle universitaire allemand connaît, jusqu’au début du siècle dernier, un franc succès en Belgique. On apprécie, à Liège, une conception nouvelle de l’université, à l’image de celle qui s’établit dans de petites villes telle que Heidelberg, jusqu’alors simple bourgade. De surcroît, les professeurs sont, en Allemagne, l’objet d’un immense respect, tandis que leur méthode du “seminar”, c’est-à-dire des petits laboratoires permettant d’offrir une formation très pratique, fait d’autant plus d’émules qu’elle tranche radicalement avec l’enseignement français, donné en amphithéâtre. La rigueur scientifique, surtout, fait du modèle allemand un nouvel étalon. » Pénétrant chez nous par le biais des labos de sciences, la tradition académique allemande se propage aux Lettres, « germanisées par un Godefroid Kurth véritablement conquis par l’Allemagne depuis qu’il y avait voyagé », et bientôt à l’Ecole des mines.

En réalité, c’est tout Liège qui fut longtemps prise d’une germanophilie aiguë. « Nos diplômés éprouvaient ainsi tout naturellement le besoin d’aller séjourner dans une université allemande. Parmi eux, Van Beneden. A l’heure du second Empire français, marqué par la censure et la surveillance des milieux universitaires, l’Allemagne faisait figure de terre de liberté », observe le Pr Balace. Jusqu’en 1914, la langue étrangère la plus parlée à Liège fut l’allemand : la classe bourgeoise moyenne et supérieure était généralement bilingue, « souvent par l’entremise d’une “fraulein” engagée comme dame de maison... »

L’interpénétration était donc totale, allant jusqu’à l’architecture : « L’Institut d’hygiène de la place Delcourt fut ainsi construit dans le plus pur style munichois; l’immense musée du quai Van Beneden rappelle sans équivoque ces musées allemands d’anatomie comparée. Sans parler de l’Institut d’anatomie de la rue de Pitteurs. » En 1905, Liège accueillit l’Exposition universelle, où le pavillon allemand ne passa pas inaperçu. « On vécut alors pendant un an dans l’odeur de choucroute et de bière. Surtout, l’Allemagne mit en avant son côté glouton, bon vivant, avec ses “biergarten” et ses serveuses en habit traditionnel. A vrai dire, les Allemands n’étaient pas du tout perçus comme un peuple capable de faire la guerre aux Belges », reconnaît, images parlantes à l’appui, Francis Balace. Dès lors la Première Guerre fit l’effet d’un couperet. La rupture fut de taille. Après 1914, les bourses d’études universitaires financent désormais des séjours qui ont lieu, non plus à Bonn ou à Tübingen, mais à Paris.

Redynamiser les échanges

Berlin-KackeschePrès d’un siècle plus tard, on ne peut pas dire que l’Allemagne ait, chez nous, reconquis sa renommée d’antan. Subsistent, au contraire, des clichés plus ou moins diffus mais tenaces. La République fédérale, c’est pêle-mêle l’Oktoberfest, le marché de Noël de Cologne, Berlin pour les city-trips branchés, le Schnapps, les chopes de bière et la Volkswagen. Peut-être aussi Wagner et Schopenhauer. Mais surtout Angela Merkel et lesdites performances de l’économie d’outre-Rhin. Bref, nous ne savons quasi rien de nos voisins. « Un Européen un tant soit peu sérieux rejetterait en bloc ces stéréotypes. Faut-il rappeler que la langue de Goethe commence dans notre pays, et que les couleurs de la Bavière se trouvent sur le blason liégeois ? Les liens institutionnels entre la Belgique et l’Allemagne ne datent pas d’hier. Et pourtant, je suis tout de même frappé par l’étanchéité culturelle qui, souvent, nous sépare encore aujourd’hui de nos voisins germaniques », regrette Christian Behrendt, originaire de Bonn et professeur à la faculté de Droit de l’UL g. Où il aime à rappeler, par ailleurs, que le droit belge est le produit de multiples influences, notamment allemande. Comme la technique de la motion de méfiance constructive. Il poursuit : « Un Johnny Hallyday, très connu à Liège, est parfaitement inconnu à Aachen, de même que Herbert Grönemeyer – qui remplit des stades entiers depuis des décennies en Allemagne – n’est connu de personne ici. Surmonter ce fossé culturel est l’un des plus grands défis de l’Europe. »

Ce fossé, Rémy Rizzo, étudiant en 2e année de master en philosophie, n’a pas attendu l’Année de l’Allemagne pour le franchir. En 2011, il a effectué un séjour Erasmus de 12 mois sur le campus de Heidelberg. L’expérience l’a conquis. Et l’a encouragé à y passer, cette année, 12 mois supplémentaires. « Il s’est passé quelque chose, raconte-t-il. Je n’avais aucune affection particulière pour l’Allemagne, et d’ailleurs je ne parlais même pas l’allemand. Mais je ne pouvais pas étudier Hegel et Kant sans connaître la langue de leurs textes. Je suis donc parti. » Avec bonheur car, ajoute-t-il « force est de constater que l’Allemagne attire. Même si la population n’a pas notre sens de la “dolce vita”, la qualité de vie est là. Il y a du travail et de l’espoir. Surtout, j’ai été frappé par la dévotion véritable que ses habitants nourrissent vis-à-vis de leur pays. Leur culture de “bien faire pour le pays” passe notamment par le travail. Ce sont des gens qui se disent : je dois faire mes heures, mais je ne les fais pas seulement pour moi, c’est aussi pour l’ensemble. De là, aussi, une fierté d’être une nation-moteur en Europe. »

Pas la préférée de nos Erasmus

Sans le savoir, Rémy Rizzo fait partie des quelque 30 étudiants qui, chaque année, toutes facultés confondues, font le pari de découvrir la République fédérale allemande au cours d’un séjour académique. Ce tout petit chiffre laisse entrevoir le travail qu’il reste à accomplir pour développer leur présence là-bas. Car si le nombre d’étudiants allemands en séjour à l’ULg n’a, lui, cessé d’augmenter depuis 2009 (passant de 29 par an à 58 en 2011-12), le student liégeois, tout féru de séjours Erasmus soit-il (l’ULg a dénombré plus de 600 départs en 2012-13), préfère à Berlin, Köln et Frankfurt, l’Espagne, immédiatement suivie du Royaume-Uni, du Canada, de l’Italie et – plus surprenant – de la Belgique néerlandophone.

L’Allemagne n’arrive qu’en cinquième position, même si l’ULg est, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’institution dénombrant le plus de départs vers ce pays. « L’année 2013 sera l’occasion de réagir, prévient Bernadette Marcq, gestionnaire de projet à l’ULg au sein de l’administration de l’enseignement et des étudiants (AEE). Trois publics seront visés : les étudiants du secondaire, les étudiants en cours de cursus souhaitant effectuer un séjour Erasmus et les alumni ULg germanophones ou partis s’installer en Allemagne, que nous souhaitons remobiliser pour en faire nos ambassadeurs. En 2013, nos journées internationales seront dédiées à l’Allemagne et notre matériau promotionnel sera traduit en allemand pour l’occasion. » Et Bernadette Marcq d’illustrer : « Aux élèves du secondaire qui auraient suivi des cours d’allemand – c’est là que débute leur apprentissage, pas à l’université – , nous voulons par exemple montrer que leur choix peut être valorisé à l’ULg. » La faculté de Droit propose par exemple des cours de langue allemande dès la première année de bachelier.

A HEC-ULg, on se targue d’avoir, d’ores et déjà, une fibre belgo-allemande. Une évidence pour son directeur strasbourgeois Thomas Froehlicher, qui ajoute : « L’idée que l’Europe de demain se construira autour du centre de gravité que sera l’Allemagne va de soi. Pourtant, peu d’écoles de management matérialisent cette idée dans leurs formations. A HEC-ULg, nous faisons en sorte que l’ensemble de nos cursus soient organisés, en double diplomation, avec des partenaires d’outre-Rhin. » L’école de management vient ainsi de lancer son OpenBordersMBA en collaboration avec l’université de Aachen (un tiers de la formation sera donné dans une langue étrangère au choix, dont l’allemand), ainsi qu’un bachelier bilingue français-allemand offrant aux étudiants de 1er bacheliers en sciences économiques et de gestion de suivre la moitié de leur cursus en langue allemande (dont une année dans une université allemande, débouchant sur un double diplôme). A la rentrée 2013, HEC-ULg offrira six cursus de master en double diplomation avec l’université Hohenheim Stuttgart.

Patrick Camal
Photos : Thomas Wolf, Wikimedia - En Une : Brandenburger Tor morgens.

Année de l’Allemagne
Soirée de lancement des manifestations

Le lundi 28 janvier, à 20h, concert, Zigeunerlieder de Johannes Brahms par l’ensemble
Praeludium, et conférence du Pr honoraire Francis Balace, “L’Université de Liège, une
université allemande ?”, à la Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège.

Voir le programme sur le site www.ulg.ac.be/allemagne2013

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