Janvier 2013 /220

Colloque international sur le développement durable

Difficile d’y échapper, le mot “crise” est partout. Si la faillite du système bancaire en 2008 reste l’événement le plus marquant ou, à tout le moins, celui qui a connu la plus grande publicité, il conviendrait plutôt de parler de crise “au pluriel”. Crise environnementale premièrement, avec un dérèglement climatique général, une détérioration inquiétante de la biodiversité et une exploitation excessive des ressources naturelles : tous les indicateurs l’affirment, qu’il s’agisse de l’énergie fossile ou de ressources plus fondamentales encore comme l’eau ou la terre, la plupart des pics d’alerte sont dépassés et appellent à des lendemains qui déchantent. Crise économique ensuite, qui combine l’épuisement des stocks de matières premières avec l’amplification de la crise financière qui n’en finit plus de faire des remous : de plans de sauvetage en cures d’austérité, les résolutions se suivent mais les problèmes demeurent. Crise sociale enfin, avec des perspectives pessimistes pour l’emploi et la qualité de vie des citoyens : pour la première fois, on prédit que les enfants vivront moins bien que leurs parents.

Derrière ce constat alarmiste, des pistes se dessinent malgré tout. Les mondes politiques, associatifs, économiques et scientifiques s’échinent à imaginer un modèle de société capable de répondre aux nombreux défis actuels et futurs. Parmi différentes approches, le principe du développement durable remporte une large adhésion par sa conception de l’intérêt public dépassant le cadre des frontières étatiques, induisant une autre forme de développement économique. Non seulement celle-ci veut être plus respectueuse de l’environnement et de la préservation de la planète, mais elle suppose une idée d’égalité et de justice, aussi bien au niveau mondial qu’à l’échelle de l’entreprise. Si les énergies renouvelables et les économies d’énergie constituent un point central du développement durable, on a parfois tendance à oublier qu’elles concernent tous les grands secteurs d’activité : agriculture, industrie, commerce, investissement financier, activités bancaires, production d’énergie, tourisme, etc.

Le concept de développement durable réunit donc sous un même vocable de nombreuses réflexions, activités et projets qui visent à apporter une réponse concrète aux crises que nous vivons, avec la perspective d’une véritable transition vers un modèle réaliste et viable. Dans cette optique, le premier congrès interdisciplinaire du développement durable se tiendra les 31 janvier et 1er février prochains à Namur. Un événement scientifique international qui sera coprésidé par les Prs Jean-Pascal van Ypersele de l’UCL et Marek Hudon de l’ULB. Si la production scientifique ne peut résoudre à elle seule tous ces défis, elle peut néanmoins permettre à notre société de s’inscrire dans une voie plus durable. Cette transition passe notamment par un meilleur dialogue entre les sciences et plus d’interdisciplinarité.

Se parler, se comprendre

L’université de Liège, qui mène de nombreux travaux sur ces questions depuis plusieurs années, participera de manière active à ce rassemblement, en proposant des interventions mais aussi en prenant part à la réflexion s’inscrivant dans ces deux jours de débats. Membres du comité scientifique, Sybille Mertens et Pierre Ozer soulignent surtout l’importance du volet multidisciplinaire de la démarche. « La plupart des scientifiques qui s’attaquent à ces problématiques demeurent trop souvent cloisonnés dans leur propre discipline, sans savoir ce qui peut se dire ou se faire ailleurs. Ce congrès est enfin une belle occasion de se trouver tous autour d’une thématique horizontale et globale qui permettra de jeter des ponts entre différents mondes. »

Pierre Ozer, chargé de recherche au département des sciences et gestion de l’environnement (campus d’Arlon), axe principalement ses investigations sur les causes et les conséquences des modifications environnementales et climatiques et leur répercussion sur l’économie, la dégradation de la qualité de vie ou de la santé publique. « On vit une crise majeure, où l’agenda politique n’est plus en phase avec ces grands enjeux globaux de développement durable, enchaîne-t-il. Nous ne sommes pas préparés à trouver des stratégies d’adaptation par rapport à l’urgence de toutes ces thématiques. Et malheureusement, on assiste à une inertie importante, une vision à court terme qui font que les temps politiques et décisionnels ne peuvent répondre à la nature actuelle des défis écologiques, environnementaux et climatiques. Ce qui induit également une précarisation des plus vulnérables, lesquels se retrouvent exclus de la transition et des processus d’adaptation. La réponse aux problématiques actuelles est possible, mais elle ne peut être que transdisciplinaire, décloisonnée et holistique. »

Sybille Mertens est membre du Centre d’économie sociale, chargée de cours à HEC-ULg et titulaire de la chaire Cera en social entrepreneurship. Elle souhaite que l’approche multidisciplinaire s’impose comme une tendance à généraliser : « Les exigences du milieu universitaire nous poussent à publier dans des revues spécialisées pointues, propres à nos disciplines. Par manque de temps ou simplement par ignorance, on remarque que l’on n’est pas nécessairement au courant du travail de nos collègues, alors même qu’ils s’inscrivent dans la même logique et abordent des problématiques voisines ou complémentaires aux nôtres. Or, il existe des questions transversales que nous pouvons et devons traiter ensemble, de quoi apporter les réponses les plus pertinentes et complètes possibles. »

Cet échange entre disciplines différentes, Sybille Mertens y est confrontée tous les jours dans ses travaux de recherche puisqu’elle explore le business model des entreprises dites “sociales” : « On peut analyser ce type d’entreprise, par rapport au modèle mieux connu de l’entreprise capitaliste. Parce que son objectif premier n’est pas le rendement maximal pour les actionnaires, l’entreprise sociale trouve des marges de manoeuvre intéressantes qui la rendent capable d’internaliser certains coûts sociaux ou environnementaux. » Pour ce faire, elle implique autrement ses acteurs (démocratie économique et dynamique participative), alloue différemment ses surplus (limite dans la distribution des profits, rémunération raisonnable des dirigeants) et mobilise des ressources à travers diverses alliances (dons, volontariat aides publiques, capital patient ou raisonnable). « Le modèle de l’entreprise sociale constitue très probablement une voie à explorer pour faire émerger un nouveau paradigme d’entreprise, en ligne avec les aspirations à une transition écologique et économique », poursuit-elle. C’est dire combien ce modèle s’inscrit parfaitement dans la thématique globale du développement durable.

Transdisciplinaire

Le point central du colloque portera sur l’articulation entre les concepts de transition et de développement durable. Les “systèmes de transition” seront ainsi au centre des deux journées, répartis selon six thématiques différentes*. La transition globale de notre système social ne se réalisera que grâce à la mise en place d’une série de sous systèmes clés, correspondant aux principaux besoins humains comme l’alimentation, la mobilité, le logement et l’énergie. Sans oublier la santé, la sécurité, l’éducation, la culture ou encore la gouvernance. « Personne aujourd’hui ne peut dire qu’il possède la vision globale du développement durable, des problématiques et des solutions. Car cela englobe tellement de disciplines et de facteurs différents qu’il faut une mise en commun des savoirs pour y apporter rapidement des réponses. » Le thème central des deux jours de rencontre – la transition – ne pouvait donc être mieux choisi. « Le système capitaliste actuel va dans le mur. Un grand nombre de contraintes environnementales, sociales et économiques indiquent clairement qu’il faut un changement de cap. Ce constat est largement partagé mais alors, que propose-t-on ? Quel nouveau monde peut-on envisager ? », observe Sybille Mertens. Pour tenter d’y apporter des éléments de réponse, le congrès se veut également ouvert avec, en renfort, des scientifiques ainsi que des représentants du monde associatif, politique et économique. « Nous avons un vocabulaire et des objectifs différents, des sources de financement diverses, soit beaucoup de spécificités qui font qu’on ne se parle pas assez. Il faut que les thématiques échangent entre elles, qu’on décloisonne un peu tout ça ! », prône Pierre Ozer.

Pour cette première édition, qui en appellera vraisemblablement d’autres, plus d’une soixantaine d’intervenants se succéderont autour de thèmes différents. Parmi eux, des personnalités reconnues comme Jeremy Rifkin, professeur à l’université de Pennsylvannie, auteur de La troisième révolution industrielle et fondateur du “Third Industrial Revolution Global CEO Business Roundtable”, le groupe de développement post-carboné le plus large au monde. Auteur de Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable, Tim Jackson, professeur à l’université de Surrey, proposera sa vision nouvelle d’une société humaine, à la fois florissante et capable de respecter les limites écologiques de la planète.

François Colmant

Quelles transitions pour nos sociétés ?

Premier congrès interdisciplinaire du développement durable, les 31 janvier et 1er février, au Palais des congrès, place d’Armes 1, 5000 Namur.

Contacts : courriel congres.dd@spw.wallonie.be, site www.congrestransitiondurable.org
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