Janvier 2013 /220

Une nouvelle méthode de profilage

CrimeMappingDepuis longtemps aux Etats-Unis et au Canada, la police a recours au service de géographes pour élucider certaines enquêtes, principalement les crimes en série. Le crime mapping – ou “analyse géo-criminelle” – est né dans les années 80 des travaux de criminologie environnementale dont le but est de déterminer des typologies de crimes et de criminels, de cerner les zones potentielles d’agression, etc. En Belgique, la police fédérale s’intéresse aussi à cette discipline et aux travaux novateurs réalisés dans le service de géomatique du Pr Jean-Paul Donnay en faculté des Sciences.

En 2007, Kenneth Broxham, un étudiant de 2e master en sciences géographiques orientation géomatique, présente un mémoire original dans la mesure où il propose une méthode de cartographie “moins classique” pour élucider une affaire. Les conclusions argumentées et remaniées de ce travail basé sur une enquête réelle sont ensuite présentées par Marie Trotta et Jean-Paul Kasprzyk, doctorants dans le service, lors d’un symposium à Washington. Avec succès : Michael Leitner, internationalement reconnu dans la discipline, propose que leur papier fasse l’objet d’un chapitre de son livre*.

A la demande de la police qui souhaitait tester les capacités du service de géomatique de l’ULg, un exercice “grandeur nature” fut réalisé. « Kenneth Broxham s’est basé exclusivement sur des données propres à l’enquête, reprend Marie Trotta, car nous pensons que le comportement d’un criminel n’est pas assimilable à celui d’un autre. Prendre appui sur des modèles réalisés à partir d’autres affaires ne nous paraît pas indiqué. » Le calcul des distances entre les méfaits a été étudié via le réseau routier, notamment grâce à la technique de propagation. C’est en soi original. « Beaucoup d’applications travaillent sur des distances euclidiennes, à savoir des droites entre deux points. Or, quand un criminel se déplace, c’est rarement à vol d’oiseau », explique Jean-Paul Kasprzyk. Le résultat de l’exercice fut particulièrement intéressant puisque, aux dires de la police, la cache de l’agresseur se situait bien dans une zone pointée comme “hautement possible” par les géographes.

« Les méthodes de profilage géographique tablent sur le fait qu’il existe une relation forte entre le “point d’ancrage” du criminel et les lieux d’agression. Cette relation est généralement une hypothèse de décroissance de la probabilité avec la distance, mais ce modèle n’est peut-être pas toujours approprié, estime Marie Trotta. Dans notre équipe, nous pensons que si la distance est un critère essentiel; il faut aussi tenir compte des spécificités de la série, du facteur “temps” et de ce que nous appelons “l’attractivité des lieux”. » Le lieu du crime et le moment où il est commis donnent de précieuses informations : « Si un forfait est perpétré avenue Louise à Bruxelles, cela ne nous dit rien sur l’agresseur, pose la chercheuse, car des milliers de personnes fréquentent cette avenue. Par contre, si l’agression se passe dans un petit village, il y a plus de chance que l’agresseur habite sur place. Idem si un crime est commis à Ostende en été : cela ne nous dit rien vu le nombre de touristes sur les plages. A contrario si cela se passe en plein hiver, en dehors des vacances, les déductions seront différentes. »

La nouvelle méthode – qui fait partie du “profilage géographique” – tient compte des spécificités de la série d’agressions et du facteur temps au travers de la chronologie des faits. Les cartes en mode raster, qui découpent une image en plusieurs cellules d’information, rendent quant à elles visibles les distances entre les lieux du crime, soit en termes de kilomètres, soit en termes de temps nécessaire pour les parcourir. « Ces recherches se traduisent en cartes que nous superposons se dégagent alors des zones de confluence maximale, autrement dit les zones prioritaires de recherche pour appréhender le suspect » poursuit la chercheuse.

La méthodologie made in ULg a depuis lors gagné ses galons dans le crime mapping. Même si les demandes d’aide des forces de l’ordre restent peu nombreuses à l’heure actuelle, quelques analystes opérationnels sont néanmoins en demande de formation.

Patricia Janssens

Voir l’article de Philippe Lecrenier sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Société/criminologie)

* J.P. Kasprzyk, M. Trotta, K. Broxham et J.P. Donnay, “Reconstitution of the journeys to crime and location of their origin in the context of a crime series. A raster solution for a real case study”, in Michael Leitner (éd.), “Crime Modeling and Mapping Using Geospatial Technologies”, Springer, 2012.

Sur le m�me sujet :
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants