Janvier 2013 /220

L’Etat-providence sous la loupe

Dans un opuscule venant de paraître aux éditions d’Ulm, les économistes Mathieu Lefebvre et Pierre Pestieau (ULg) passent à la loupe le principe d’Etat-providence en Europe, c’est-à-dire “les interventions étatiques visant à assurer un certain niveau de bien-être et de sécurité à l’ensemble de la population”. Les deux chercheurs posent un constat : depuis les années 1980, les Etats-providence, peinant à atteindre les objectifs qui leur sont assignés, font l’objet d’une importante remise en question. Est-elle fondée ?

Vieillissement, concurrence fiscale freinant les efforts redistributifs, changements dans les familles les rendant de moins en moins vecteurs de protection sociale, segmentation du marché du travail conduisant à une précarisation croissante des travailleurs non qualifiés, toutes ces menaces pesant sur les Etats-providence invitent à des réformes “permettant une meilleure adéquation entre leurs structures et la réalité socio-économique actuelle, très différente de celle qui prévalait après la Seconde Guerre mondiale”. Avant toute transformation, il convenait donc de déterminer, aussi précisément que possible, la capacité des Etats à remplir leurs missions, “essentiellement au nombre de deux : assurer une bonne protection contre les grands risques de la vie et réduire au mieux les inégalités sociales et la pauvreté”. Lefebvre et Pestieau ont, par conséquent, créé – en recourant au concept de “frontière des meilleures pratiques”, qui s’appuie sur les pays les plus performants, et en se basant sur des données statistiques publiées par l’UE – un indicateur unique permettant, en dernière analyse, de classer.

Car les statistiques permettent d’abord, on s’en doute, de décerner les médailles aux bons élèves. Au sommet du classement, on trouve ainsi les inévitables pays nordiques, la Suède en particulier : qualité de vie, longévité, soins de santé axés sur la prévention, etc. Mais pas seulement, comme on a souvent tendance à le croire : les Pays-Bas et l’Autriche, nos proches voisins, apparaissent ici comme autant d’Etats sociaux performants dont il conviendrait de s’inspirer. Statistiquement, la Belgique n’est qu’en milieu de peloton. « De quoi, certes, alimenter une certaine fierté, mais pas au point de nous en vanter, tranche le Pr Pierre Pestieau. Disons-le, notre pays serait mieux classé s’il avait deux régions flamandes. On observe ainsi que, dans le Hainaut, l’état de santé des citoyens est déplorable et l’espérance de vie est statistiquement plus basse que dans d’autres pays européens (73 ans pour les hommes, ce qui est très faible). » Mais les auteurs soulignent que l’on retrouverait ce même type de résultats “si l’on comparait par exemple des régions de France ou d’Italie. L’utilité d’une telle régionalisation de l’Etat-providence est d’éclairer les politiques”. Et non, on l’a compris, de stigmatiser.

En second lieu, l’étude teste la réalité du dumping social, souvent utilisé comme un prétexte pour justifier des coupes dans les dépenses publiques. « Il ne se passe pas un jour où la presse ne relate de nouvelles concernant les délocalisations d’entreprises, l’afflux d’immigrés clandestins ou illégaux, la présence de plombiers polonais ou de serveurs marocains, autant d’informations présentées à l’opinion comme un signal que nos Etats ne doivent plus être la providence de la terre entière. Or, on s’aperçoit que la mondialisation n’a pas conduit les pays européens à être moins performants. Au contraire, on observe même un phénomène de convergence auquel nous ne nous attendions pas : les dépenses sociales dans des pays comme le Portugal et l’Espagnol ont énormément augmenté au cours des deux dernières décennies. »

Tout en conservant au fil des ans les mêmes coureurs de tête et les mêmes lanternes rouges (la Grèce, le Portugal et la Grande-Bretagne pour l’Europe des 15, et la Lettonie et l’Estonie pour l’Europe des 27, en dépit de ce que les pays baltes ont souvent été présentés comme des modèles de développement économique parmi les anciens pays du bloc soviétique), le peloton des pays européens est cependant devenu de plus en plus compact. « Au risque, c’est vrai, que ce rattrapage se soit fait au prix de l’endettement sévère – on pense au Portugal et à l’Espagne – que l’on dénonce aujourd’hui. Mais il n’est pas encore temps, ni prudent, de nous prononcer sur cette question », conclut le Pr Pestieau.

Patrick Camal

Mathieu Lefebvre et Pierre Pestieau, L’Etat-providence en Europe. Performance et dumping social, éditions d’Ulm, Paris, 2012.

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