Janvier 2013 /220

Obama : clap 2

Le 20 janvier aura lieu la cérémonie d’investiture du président des Etats-Unis. Barack Obama prêtera serment pour la seconde fois.
Regards croisés sur les défis de ce nouveau mandat, avec le Pr émérite Pierre Pestieau de HEC-école de gestion de l’ULg et Jérôme Jamin, chargé de cours au département de science politique en faculté de Droit*.

Le 15e jour du mois : Que dire à l’aube de ce deuxième mandat ?

PestiauPierrePierre Pestieau : Les défis sont nombreux, d’ordre économique et d’ordre politique. Il y a d’abord eu le “Fiscal Cliff” que l’on peut traduire par la “falaise budgétaire ”, un mécanisme qui prévoyait que si l’administration fiscale, le gouvernement et le Congrès n’avaient pas procédé à une réforme avant le 1er janvier, une baisse des dépenses de 25% combinée à une hausse d’impôts de 25% allait se déclencher de façon automatique. Cette situation s’explique par la conjonction de la fin des exonérations fiscales décidées sous George Bush (prolongées pour deux ans en 2010) et la mise en
oeuvre de coupes automatiques dans les dépenses publiques prévues par l’accord de 2011 sur le relèvement du plafond de la dette.

Etonnant d’un point de vue européen, ce mécanisme a pour objectif de contraindre les partis, même diamétralement opposés, à adopter des réformes moins pénibles que celles prévues automatiquement. C’est une technique particulière aux Etats-Unis qui prend acte du fait que si on veut un accord entre des partis opposés, il faut une épée de Damoclès.

Comme on pouvait s’y attendre, un accord a minima a été conclu dans la nuit du 31 décembre au terme de tractations ardues. Il prévoit notamment d’augmenter le taux d’imposition des foyers aux revenus supérieurs à 450 000 dollars par an. Il repousse à dans deux mois en revanche, l’examen de coupes dans les dépenses budgétaires et la décision concernant le plafond de la dette. On n’est pas sorti de l’auberge.

Le 15e jour : Et sur le plan politique ?

P.P. : La société américaine est très divisée sur le plan politique. On peut parler d’un véritable fossé entre l’électorat du parti démocrate (situé principalement sur les côtes est et ouest des USA, composé à la fois d’intellectuels, de latinos, de noirs, de pauvres, de jeunes, de femmes seules) et celui du parti républicain (traditionnellement des gens de la classe moyenne, aisée, blanche dans les Etats plus ruraux). Un peu comme en Belgique, mutatis mutandis, où des sentiments violents animent une frange de la population contre l’autre.

Si le président Obama est démocrate, la Chambre des représentants est aux mains des républicains. Au Sénat, les démocrates disposent d’une majorité absolue mais pas de la majorité des 2/3 qui leur permettraient de l’emporter sur la Chambre. Il est donc particulièrement difficile de conduire une politique fédérale, d’autant qu’on a l’impression qu’aucun responsable de parti n’acceptera un compromis sur une question si celui-ci avantage un peu plus le parti opposé que le sien… Le manque de civisme ou le sectarisme, c’est selon, l’emporte au détriment du bien collectif.

La marge de manoeuvre du président Obama est donc très étroite. Les oppositions sont très tranchées, le parti républicain s’étant radicalisé ces dernières années. C’est ce que révèle la montée en puissance du Tea Party, aile droite du parti républicain, plus radicale, nettement plus conservatrice.

Peut-être faut-il espérer un sursaut de la part des républicains. En effet, plusieurs analystes ont montré qu’ils risquaient de perdre les prochaines élections encore, notamment parce que la population latino acquise aux thèses démocrates est en constante augmentation. Certains prônent alors un retour au centre, un retour aux valeurs plus modérées afin de reconquérir des électeurs qui s’étaient enfuis.

Si la raison l’emporte, alors l’Amérique sera à nouveau gouvernable, d’autant qu’elle peut toujours compter sur le dynamisme de la population, sur son optimisme inébranlable et sur un taux de chômage peu élevé par rapport à l’Europe.

JaminJeromeLe 15e jour du mois : Que dire à l’aube de ce deuxième mandat ?

Jérôme Jamin : Barack Obama entame son deuxième mandat alors que le premier fut décevant. Sans doute attendions-nous trop d’un seul homme, mais il n’a pas rompu avec son prédécesseur sur un volet sensible, à savoir la dérive en matière de droits de l’homme. L’argument utilisé par Bush, Rumsfeld, Cheney et autre Ashcroft qui justifiait un recul des libertés au profit de la sécurité est toujours d’actualité aujourd’hui, notamment en matière de torture.

Si Obama a engagé une réforme au niveau de la santé, deux problèmes principaux subsistent néanmoins en raison de l’obstruction des républicains : la mainmise du privé sur le secteur au détriment des usagers et l’abandon total du projet d’un système de couverture universelle. Enfin, au niveau des relations internationales, l’image des Etats-Unis n’a pas changé en quatre années de présidence et le retrait de l’Irak et de l’Afghanistan ne signifie en rien la fin du chaos dans ces deux pays. Par ailleurs, préoccupé par sa réélection, le Président n’a pas saisi l’opportunité de la crise de 2008 pour engager en profondeur une réforme du système financier américain. C’était pourtant une occasion unique dans la mesure où il était difficile, à l’époque, de nier sa nécessité. Au final, Barack Obama doit moins sa réélection à son propre bilan qu’aux erreurs de ses adversaires.

Le 15e jour : Autre souci, les armes en vente libre…

J.J. : On peut ici faire un parallèle entre l’occasion manquée de réformer la finance et la question des armes à feu. Si Obama ne saisit pas immédiatement “l’occasion” présentée par la tuerie de Newtown, il sera très rapidement minorisé sur cette question. Cela dit, pour comprendre la difficulté du débat sur les armes, il faut écarter le stéréotype de l’Américain cow-boy amateur de mitraillettes M16 ou M60, l’arme que Rambo utilise à la fin de chacun de ses films.

Dans ce pays gigantesque où l’Etat est peu présent, la police est efficace en fonction des moyens dont elle dispose et notamment des taxes locales liées aux revenus des habitants. Dans les quartiers pauvres, cela peut mener à des situations extrêmes où les forces de l’ordre ne peuvent pas répondre correctement aux demandes de la population : le port d’une arme pourra ici rassurer le citoyen qui ne pourra compter que sur lui-même. Une grande partie de la population estime d’ailleurs que ce ne sont pas les armes qui sont dangereuses mais les individus qui les utilisent à mauvais escient.

Par ailleurs, il est également admis que des restrictions sur la circulation des armes toucheraient d’abord les honnêtes gens et certainement pas les gangs et autres malfrats qui continueront à s’en procurer. Enfin, le souvenir de la Révolution qui a donné naissance aux Etats-Unis n’est jamais très loin et le droit de porter une arme renvoie aussi au droit de résistance face à un gouvernement qui deviendrait dictatorial. C’est la raison d’être des milices et des mouvements patriotes.

L’un dans l’autre, la partie n’est pas gagnée. Mais il y a une occasion que le Président peut saisir s’il est plus audacieux qu’en 2008.

Propos recueillis par Patricia Janssens

* Jérôme Jamin dispense le cours de “Dynamique démocratique aux Etats-Unis”.

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