Février 2013 /221

Quantifier le gaz émis par les bovins

Ce n’est peut être pas la découverte tant attendue dans ce domaine, mais c’est en tout cas le franchissement d’une étape décisive. Avec leurs collègues du Centre wallon de recherches agronomiques (les départements valorisation des productions et productions et filières), les agronomes de Gembloux Agro-Bio Tech (unité de zootechnie) viennent de mettre au point un outil qui devrait sensiblement contribuer à limiter l’impact de l’élevage bovin sur les émissions de gaz à effet de serre. Non seulement en région wallonne, terre de pâturages bien connue, mais aussi bien au-delà en Europe voire dans le monde entier.

Trop, c’est trop

Le gaz visé ? Le méthane. Sous nos latitudes, 400 à 500 grammes de ce gaz sont émis quotidiennement par bovin, via la fermentation entérique, c’est-à-dire la décomposition microbienne des aliments dans le rumen de l’animal. La planète comptant pas loin d’1,3 milliard de bovins et le méthane détenant un “pouvoir réchauffant” de l’atmosphère 24 fois supérieur à celui du CO2, il ne faut pas s’étonner si l’élevage de ruminants contribue à lui seul, selon la FAO, à 4,5 % du réchauffement de la planète. Tôt ou tard, vu l’évolution démographique de la planète et de la consommation de viande qui l’accompagne, ce secteur sera invité à contribuer aux efforts généraux de réduction des émissions.

Le hic, c’est qu’on ne sait pas encore avec la précision requise, loin s’en faut, quelles races bovines émettent le moins de méthane. Certes, tant en matière de génétique que d’alimentation optimale, les recherches progressent. Mais les obstacles restent nombreux. Par exemple, la variabilité individuelle des animaux est énorme, ne fût-ce qu’en raison du type de pâturage fréquenté. Un animal A et un animal B, issus d’une race identique et soumis au même régime alimentaire, peuvent émettre du méthane en quantités différentes jusqu’à 60 % ! Le sujet est donc complexe et exige de pouvoir être approché avec une méthode fiable.

C’est là qu’intervient le travail des équipes gembloutoises. Celles-ci ont transformé une méthode existante de quantification du méthane, ayant recours à l’hexafluorure de souffre (SF6), au profit de la mise au point d’un nouvel outil infrarouge : une équation, en fait. L’avantage de cet outil, c’est qu’il est utilisable sur des animaux en lactation vivant dans des conditions parfaitement normales (alternance prairie/étable) et non plus confinés dans une chambre respiratoire. En outre, il peut être utilisé au niveau de l’étable, tout en pouvant être développé à partir de banques de données déjà existantes.

« Des études antérieures avaient déjà démontré que plus le lait contient d’acides gras à courte chaîne, plus l’animal émet de méthane, précisent Hélène Soyeurt et ses collègues. Or nous savions déjà, à la suite de nos travaux antérieurs, que la spectrométrie infrarouge permet de doser avec précision les acides gras. Cette fois, nous avons démontré qu’il est possible d’utiliser la base de données considérable obtenue via l’analyse spectrale (pratiquée couramment dans le cadre du contrôle des performances laitières en région wallonne : déjà 3,5 millions de données) pour prédire les émissions de méthane des bovins. Ce que nous préconisons maintenant, c’est d’utiliser toute l’information spectrale du lait, et non plus uniquement celle liée aux acides gras, pour estimer d’une manière encore plus précise les émissions de méthane du cheptel wallon et, potentiellement, de n’importe quel cheptel dans le monde. »

La méthode infrarouge est peu onéreuse : quelque 20 centimes par analyse. Son adaptation intervient dans un contexte peu anodin. En effet, dans le cadre de l’“étiquetage carbone” des aliments, destiné à évaluer leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre, les autorités européennes sont en train de définir une méthodologie harmonisée de quantification des émissions de méthane. « Il y a un risque d’injustice pour les éleveurs, pense la chercheuse. Certains pourraient voir leur production laitière échapper à un étiquetage favorable, faute d’avoir été identifiés comme peu émetteurs par une méthode suffisamment précise et individuelle. »

Vision d’ensemble

De là à considérer l’équation méthane appliquée sans discernement, un peu comme un facteur décisif de “virginité environnementale”, il y a un pas que les chercheurs de Gembloux se refusent à franchir. Il serait abusif, estiment-ils, d’évaluer les “services” rendus par une vache en se référant uniquement à sa contribution à la production de ce gaz ou même, plus largement, à celle de tous les gaz à effet de serre. C’est de l’ensemble de son cycle de vie, y compris de son environnement, qu’il faut tenir compte. Ainsi, la prairie pâturée est un puits de carbone non négligeable, qui permet de valoriser des terres où les cultures de rente, tout particulièrement en Ardenne, ne sont possibles qu’avec des rendements très limités. « Nourrir un ruminant de chez nous avec davantage de maïs, sous le prétexte que la production de méthane est ainsi moindre, n’aurait aucun sens sur le plan environnemental. » Bon à rappeler, dans le contexte multicrises (climat, énergie, prix des denrées alimentaires, etc.) que nous connaissons depuis quelques années...

Philippe Lamotte

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant/zoologie)

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